Je vous avoue que celui-là, je ne savais pas trop comment le comptabiliser : étant donné que j’ai fait fusionner deux très vieux articles entre eux, il fallait bien en supprimer un, donc est-ce que j’aurais dû compter le 499e comme les véritable 500e ? Et puis je me suis dit que le 499e pourrait très bien être compté comme 499 bis et que ça arrangerait tout le monde, surtout les maniaques comme moi.

Alors, qu’est-ce qu’on a au programme pour ce 500e numéro ? Eh bien, vous connaissez mon goût pour les petits formats de bric et de broc, postés de manière totalement irrégulière. J’ai donc décidé de me livrer à un exercice de style : en faire cinq de moins de 500 mots, à la manière des TUGPÉUA !

Mini-Versus : Babylon vs Making-of

Plutôt que de vous mettre le lien vers ma critique de Babylon, il vaudrait sans doute mieux vous en mettre un vers mon retour de fin d’année sur le film, qui tente de mieux cerner ce qui m’y a tant plu (et tant déplu au public). Le film le plus controversé de Damien Chazelle raconte en effet toutes les galères qu’on puisse imaginer dans un tournage : matériel introuvable, épuisement des techniciens jusqu’à la mort, stars habituées aux orgies tournant mal, disputes avec la mafia… Difficile de savoir dans quelle mesure l’auteur s’inspire de la réalité ; sans doute affabule-t-il beaucoup. Mais à deux reprises dans le film, lors de l’embauche de Nellie et Manny puis du grand final, il nous affirme le message suivant : en faisant du cinéma, la souffrance est immense, mais une délivrance magnifique se trouve au bout. Cela vaut-il le coup de s’accrocher ? L’élan romantique qui porte les deux principaux héros semble le confirmer.

Pourtant, il est sorti cette année un autre film que Babylon pour parler des drames du cinéma de manière diamétralement opposée : Making-of de Cédric Kahn est un total contrepied, mais lui ressemble étrangement. Plus réaliste, plus prosaïque, il ne s’emballe dans aucun excès mais montre simplement la dure réalité : le monde du cinéma français ne comporte sans doute pas d’épreuves aussi rocambolesques, mais il est plus cruel. Les artistes sont bridés par les studios, les problèmes ne sont pas que d’ordre technique ou personnel mais aussi et avant tout économique, aucune transcendance ne nous attend à la fin. Seule la satisfaction d’avoir tenu tête, encore une fois, à une industrie perverse voulant faire croire à une réelle liberté de création. Au final, on continuera de faire des films : « Le cinéma, c’est une drogue dure ». Tout en sachant pertinemment qu’on y perd notre santé mentale.

ET POURTANT : malgré tout, Making-of parvient lui aussi à être une comédie dramatique drôle et touchante, avec ses explosions de violence comme de tendresse. Entre un réalisateur caractériel, un stagiaire aux allures de Gaston Lagaffe, une superstar… jouée par Léonard Cohen, ce qui donne ce à quoi vous vous attendez, une actrice principale en pleins problèmes personnels et/ou liés à sa condition de transfuge de classe, et donc un responsable de making-of un brin lèche-bottes, vous avez une galerie de personnages attachants qui maintiennent, péniblement, le tournage-catastrophe d’un drame social « à la française ». Moins glamour, mais aussi sans doute plus honnête, Making-of vient nous rappeler quelque chose d’important : l’art ne récompense pas toujours et il exige de durs sacrifices. Mais si on l’arrête, alors la vie est encore plus douloureuse.

Mini-Faut qu’on en parle : La violence dans Khanaor

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Je n’ai pas de problème avec les œuvres violentes. Si, si, je vous assure. Si je n’écris pas ces mots, Chuck Norris viendra me décapiter avec un katana. Mais plus franchement : j’ai vu Sympathy for the Devil, Les fils de l’homme, Requiem pour un massacre, lu The Boys et j’adore toutes ces œuvres. Si des sagas littéraires comme Le trône de fer ou Le livre des martyrs m’ont parfois écœuré, c’était davantage par un surplus de pessimisme que par un réel engouement à montrer de l’hémoglobine. Alors pourquoi est-ce qu’en relisant Khanaor, je me suis senti toujours aussi mal à l’aise devant ses scènes de guerre ?

Je l’avoue : je n’aime pas ce roman. J’apprécie ses nombreuses qualités, comme celui de constituer une avant-garde à la fantasy française, mais je le trouve trop pompeux, et surtout trop didactique. L’obscurantisme total contre l’humanisme total est un trope qui a tendance à m’agacer en SFFF, les choses étant rarement aussi simples dans la réalité (et c’est tout l’intérêt d’œuvres comme Star Trek de subvertir leur manichéisme apparent). Mais par-delà ce problème plutôt personnel, la violence débridée dont fait preuve Khanaor contraste violemment avec les nombreux moments de complicité et d’introspection entre les personnages. Tant mieux, me direz-vous, si ça conforte le message pacifiste ! Sauf que pas vraiment, au final : dès les premiers affrontements, nous sommes devant des meurtres sordides, d’enfants, d’handicapés, de civils, de femmes et de personnes âgées, sans qu’il ne se produise aucune gradation dans l’horreur. Dès lors, tout paraît gratuit et on se détache de tous ces PNJ se faisant salement trucider, n’éprouvant pour eux plus qu’un vague dégoût.

Et c’est peut-être ça, ce qui me dérange tant que ça dans le fait que ce bouquin soit si peu subtil : dans les œuvres que je vous ai citées, il y a quasiment toujours une amorce très trash, mais on laisse ensuite du temps pour développer l’univers et faire monter la tension. Ici, l’auteur nous mitraille tout de suite avec ses arguments antimilitaristes, ce qui donne parfois moins l’impression de lire un roman qu’une brochure militante. J’aime la SFFF engagée, vous le savez : je pense même que toute œuvre doit être extrêmement consciente des valeurs qu’elle propage. Mais à aborder trop frontalement les choses, on risque surtout de faire fuir le lectorat.

Khanaor, d’une certaine manière, annonçait la suite de ce que serait la fantasy française : une tendance au m’as-tu-lu, un bourrinage pas toujours bien géré, des messages parfois mal expédiés… mais aussi beaucoup de poésie, d’inventivité et d’espoir pour le monde. Et rien que pour ça, je vous recommande quand même ce précurseur méconnu.

Mini-Scribouille et les mauvais sites : Le streaming alternatif

Ça faisait un moment que je voulais vous parler des plateformes de streaming ; mais non pas les mastodontes du genre (Netflix, Amazon Prime, Disney+, Apple TV…) : plutôt celles alternatives et notamment françaises, plus méconnues mais pourtant fameuses dans les milieux cinéphiles (Shadowz, My Canal, ou, si vous êtes masos, TF1+). Voici les trois qui m’intéressent le plus et que je connais le mieux.

UniversCiné

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UniversCiné se dit spécialisé dans le cinéma indépendant : au vu des nombreux blockbusters qu’on trouve dessus, il y a de quoi hausser un sourcil stratosphérique. Pourtant, leur catalogue est assez bien fourni concernant des productions plus intimes ; de sorte qu’il faudrait parler davantage de cinéma d’auteur. L’éclectisme du site est assez agréable et m’a permis de rattraper des classiques du monde entier ; en revanche, il est particulièrement frustrant de voir que certains programmes sont disponibles en VoD mais pas en sVoD, et inversement.

Mubi

1200x1200bbMubi propose « le meilleur du cinéma » : des films du monde entier acclamés par la critique, qu’il n’héberge que pendant une durée très courte, ce qui encourage au binge-watching et ainsi à rattraper de nombreux classiques et chefs-d’œuvres méconnus (au départ, il s’agissait d’un nouveau film par jour avec une durée de seulement un mois, mais depuis leur catalogue est devenu moins contraignant). Accompagnés à chaque fois d’une courte analyse, sélectionnés aussi bien comme courts que longs-métrages, ils sont soigneusement sélectionnés pour encourager la curiosité de quiconque ressent un peu d’amour envers le 7e art. Seul regret : ça manque un peu de SFFF, et quand elle en a posté, il s’agissait parfois de blockbusters aux qualités très discutables…

Bollyfrench

imagy-image-1Enfin, voici un choix polémique : Bollyfrench est une plateforme magique, qui vous permettra de regarder en VOSTFR des chefs-d’œuvre du cinéma indien pour pas un rond… Mon Dieu ! Du streaming illégal ? Il semblerait, effectivement, que le site ne soit pas très regardant là-dessus. Mais outre le fait que la propriété intellectuelle soit un concept très discuté par les philosophes actuellement, demandons-nous vraiment : dans ce cas précis, regarder des films gratuits risque-t-il d’appauvrir leurs créateurs ? Au contraire, il s’agit de films privés de diffusion en France, souvent difficilement trouvables sur le Net, surtout pour les non-anglophones : Bollyfrench leur assure ainsi une visibilité, en attendant que le cinéma indien soit davantage reconnu dans la francophonie. Et rien que pour ça, je ne peux que vous le recommander.

Mini-Les p’tites fiches de Scribouille : La figure du silène

Vous savez que j’aime les personnages atypiques, et parmi eux il est une figure qui me fascine spécialement : celle du silène, c’est-à-dire de l’œuvre ou du personnage repoussant en apparence, mais qui contient en lui les vérités que personne n’ose reconnaître ou apprendre. C’est François Rabelais qui le théorise, pour défendre son Pantagruel : son énorme géant despotique mais révélateur des vices des souverains de son époque doit susciter une réflexion dans son lectorat sur comment doit se comporter une figure du pouvoir. Pour illustrer son propos, il le compare à Socrate : laid, sans hygiène, Socrate est pourtant l’homme le plus sage d’Athènes ; mais on pourrait aussi citer Diogène, le philosophe clochard critiquant allègrement le faste dont se pare le monde.

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Capture d’écran 2024-02-01 à 15.49.36L’art s’est ensuite souvent servi de la laideur et de la difformité pour nous montrer que les apparences sont trompeuses : en somme comme le dit le vieux proverbe, « la vraie beauté est à l’intérieur ». Ainsi, Quasimodo, John Merrick ou encore Forrest Gump ont pu donner des visions plus positives du handicap à travers la littérature et le cinéma. Les créatures effrayantes ou répugnantes sont également celles qui sont au final du meilleur conseil aux héros, à l’instar de vieux contes du monde entier, mais aussi des monstres de Guillermo del Toro qui s’en inspirent… ou encore des insectes de James et la grosse pêche de Roald Dahl, dont l’adaptation au cinéma a passablement marqué mon enfance.

114282_e948512cb9e4dd8f790c56975488915dLa laideur n’est pas toujours physique, elle peut aussi être morale : en effet, comment justifier des atrocités commises au nom d’une cause… si ce n’est pour éviter des atrocités encore plus grandes ? C’est ainsi que de nombreux méchants de la pop-culture poursuivent en fait le même but que le héros, mais en suivant des méthodes plus radicales. Et si vous voulez tout savoir sur le sujet, Benjamin Patinaud en a répertorié un très grand nombre dans son fameux livre Le syndrome Magneto.

pocket07196-2015Enfin, terminons avec le personnage de Silenus, dans Les cantos d’Hypérion. En apparence, il s’agit d’un silène assez classique : laid, grossier, moqueur, mais capable de prouesses littéraires… Et pourtant, Dan Simmons en fait un contre-pied de la figure du silène : en effet, dans La chute d’Hypérion, Silenus va subir un châtiment particulièrement cruel qui va lui faire remettre en question sa vision de l’art. Vaut-il de sacrifier sa propre vie et celle des autres ? Il semblerait pourtant que la valeur qu’il défend, le talent, soit moins précieuse qu’une autre qui lui reste à apprendre : le pardon.

Mini-Scribouille et les mauvais genres : Ground opera !

Si comme moi vous êtes un grand adepte du Dieu-Serpent, alors vous connaissez bien les genres en -opera : space opera, planet opera, water opera, et même universe opera ! Pourtant, en-dehors des profondeurs spatiales et aquatiques, il en est d’autres pour lesquelles les classifications de la SF n’ont pas encore trouvé de nom : celles souterraines, qui me fascinent tout particulièrement. Je propose donc le terme de ground opera, et de ground fantasy pour son pendant surnaturel.

thOn pourrait faire commencer l’histoire du ground opera avec le célèbre Voyage au centre de la Terre de Jules Verne, mettant en scène d’innombrables souterrains au sein desquels se cachent des vestiges bel et vivants du monde préhistoriques (voire d’époques plus lointaines encore). La SF post-apocalyptique s’est également saisie du sujet avec des sagas comme Métro du russe Dimitri Gloukhovski, racontant comment l’humanité survit dans les ruines des installations souterraines de notre civilisation ; de la même manière, nous avons eu récemment les très bons films Junk Head et Mad God. Terminons enfin par citer des œuvres s’intéressant non pas à la vie souterraine de notre planète, mais à celle d’autres astres : il me semble assez indiqué de citer Les mines de Horta, sans doute un des meilleurs épisodes de Star Trek TOS, et dans une veine plus horrifique celui de Love, Death and Robots intitulé L’Essaim, adapté d’une nouvelle de Bruce Sterling.

Dans la science-fantasy, vous allez trouver Le cycle de Pellucidar, inspiré par la théorie antique que notre terre est creuse et comporte d’autres terres gigognes ; mais aussi Ce qui est en bas, troisième tome de L’Incal, où les personnages évoluent dans des décors aussi New Age que surprenants. Dans la fantasy pure et dure, Le fauteuil d’argent, sixième Chronique de Narnia, met en scène un royaume souterrain inquiétant, dirigé par une sorcière, mais évoque aussi un paradis souterrain, le pays de Bism, plein de joailleries et de merveilles secrètes. L’autre monde souterrain est également un trope courant de l’urban fantasy : citons la saga Gregor de Suzanne Collins, particulièrement intéressante pour sa tendance à faire s’accomplir ses prophéties… de façon très hétérodoxe.

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Dragons-Creatures-2-Inframonde-768x768Enfin dans le jeu de rôle, Donjons et Dragons a marqué les esprits avec sa dimension magique qui n’est qu’un souterrain infini, Outreterre : il y vit des équivalents tourmentés des créatures de la surface, les drows (elfes), duergars (nains) et svirfneblins (gnomes). Des JdR s’en sont inspirés pour faire leur propre tambouille comme le très laid L’Ascension des Drows, mais également le superbe Dragons, qui prépare actuellement deux extensions pour son Inframonde, ainsi qu’une autre pour un trope encore plus sous-exploité dans la fantasy classique : les lunes !

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J’espère que vous aurez passé un aussi bon moment en lisant cet article que moi en le préparant. Je ne sais pas si je vais continuer de fêter chaque nouvelle centaine, étant donné que c’est difficile de trouver quelque chose d’excellent à chaque fois (et surtout de tenter de faire toujours mieux). Rendez-vous pour le n°1000 alors ? Ho ho ho, je vais essayer de me surpasser pour faire honneur à votre culture !

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