Il y a des œuvres qu’on aimerait pouvoir résumer par un dégonflage de joues. Pas parce qu’elles sont mauvaises, mais parce qu’elles ont leurs petites manies qui nous exaspèrent et avec qui on entretient une sorte de relation n’étant pas sans rappeler certains vieux couples. Étant donné que notre alphabet limité à 26 signes n’admet pas ce phonème, il va donc falloir que j’écrive une critique.

Khanaor de Francis Berthelot, c’est donc l’histoire de l’île imaginaire du même nom, dont les ressources commencent à sérieusement s’épuiser en raison du manque de magie. Celle-ci joue un rôle important dans les moissons et il est devenu impossible de s’en passer. Les différents pays ayant un rôle à jouer dans sa production, ils vont donc chacun essayer de se tirer la couverture de leur côté alors que vient la crise économique ; la guerre semble inévitable…

Vous l’aurez compris, Khanaor est un ouvrage de plus pour mon mémoire de geekos écolo-gauchiste. Et plutôt important : il est sorti dans les années 80, où la fantasy en France (quand on savait ce que c’était) n’était jugée que comme un pur divertissement au mieux pose-ton-cerveau, au pire puéril. Berthelot entreprend une littérarisation, et surtout une politisation, d’un genre encore embryonnaire en nos contrées reculées. Reagan et Thatcher ont entrepris de submerger le monde avec leur productivisme agressif, la guerre froide gronde toujours, les LGBT commencent à taper du poing, René Dumont est passé boire un verre pour expliquer aux français les rapports entre guerre et pollution. Le temps des épées magiques et des elfes aryens tout à fait neutres et apolitiques est révolu, il est temps d’écrire de la littérature de genre kiféréfléchire.

Seulement, le rôle des précurseurs est souvent d’essuyer les plâtres, et Berthelot ne fait pas exception. Outre les superbes couvertures de l’édition originale que je ne résiste pas à l’envie de vous montrer, les thèmes sont souvent traités avec maladresse : la solution au problème écologique reste une solution extractiviste, l’athéisme de l’auteur vire fréquemment à une spiritualité New Age mal assumée (on ne sait par exemple rien du magicbuilding à part le fait qu’il implique les chakras), l’humanisme disparaît par moments au profit du traditionnel mélo sur « la nature humaine ».

Mais surtout, Berthelot tombe dans le piège qui poursuit un nombre hallucinant d’auteurs français (hop, hop et hop) : celle de se croire un grand styliste. Ce procédé a lieu en deux étapes : 1/ trouver un maximum de mots que personne ne connaît, y compris le dictionnaire de votre liseuse, 2/ réussir à tous les caler quitte à rallonger ou intellectualiser vos scènes les plus poignantes. Encore plus amateure, l’idée d’ancrer dans les premières phrases du récit l’île de Khanaor dans notre monde à nous, à une époque précise, pour ensuite totalement s’en désintéresser. Que faisait l’éditeur ? Il avait pourtant publié Elric et Le cycle des épées, il aurait dû savoir comment conseiller l’auteur sur ce qu’est de la bonne fantasy !

Dès lors, mon avis s’est de plus en plus biaisé : les descriptions psychologiques, certes faites avec finesse, m’ont semblé interminables et larmoyantes ; celles des paysages pourtant très dépaysants n’ont pas su me transporter ; les dialogues m’ont paru fades et inutilement développés. Bref, cette lecture s’est rapidement transformée en une énorme frustration : trop de phrases ampoulées pour au final déballer un écologisme certes pas inintéressant, mais sentant un peu trop le rasta blanc de festival du vin biodynamique moins intéressé par l’élaboration d’une pensée concrète que par le dernier sarouel de la Pachamama.

Au moins peut-on reconnaître à l’auteur une chose : celle de ne jamais idéaliser le pouvoir. La violence y est montrée dans toute sa crudité sans jamais être glamourifiée, et l’exercice de l’autorité ne fait de bien à personne, surtout pas aux dirigeants. En résulte ce livre progressiste, teinté de libertaire, avec des personnages humains et tourmentés au sein d’un système politique devenu monstrueux et qui n’est donc pas sans rappeler le nôtre. Charge à moi à présent d’en produire une analyse un peu plus fine et gentille, parce qu’après tout, c’est pour mon universiture…

On fait pousser aussi des éoliennes chez : Le Chroniqueur, …

Un commentaire sur « « Khanaor » : Quel désarroi spiritique ! »

Laisser un commentaire