Allez, le temps des fonds de tiroir est révolu, ce sont les dernières mini-critiques de la saison ! Du moins on va espérer, votre serviteur étant décidément une feignasse incapable d’écrire ses articles en entier. Mais peut-être pourra-t-il bientôt se ressaisir… En effet, j’ai une grosse surprise pour vous le 30 décembre, mais si vous voulez vraiment la voir, il va falloir faire du bruit. Et me lire attentivement dans les semaines qui viennent !

Karim Piriou — Politikon

9782380943832_p0_v1_s1200x630Il vous est peut-être arrivé de tomber sur des articles de blog où je parle ouvertement de politique, y compris en employant des termes précis et techniques (tenez par exemple : celui dont je suis le plus fier). Vous n’y avez rien compris ? Ce n’est pas grave ! Le vulgarisateur Karim Piriou vient de sortir un livre au nom de sa chaîne, Politikon, où il retrace de manière courte et synthétique l’histoire des différentes pensées politiques modernes.

Disons-le, il y a quelques oublis : l’auteur ne parle pas de la démocratie-chrétienne ou encore du georgisme, le bonapartisme et les luttes LGBT sont quant à elles évoquées très rapidement. En fait, à la fin du chapitre sur le libéralisme, j’étais un peu les yeux comme deux ronds de flanc : c’est quoi la différence entre libertariens de gauche et géolibertariens ? c’est quoi, les autres formes de néolibéralisme que l’ordolibéralisme ? De même, je trouve que la critique du libertarisme aurait gagné à être approfondie ; mais surtout, surtout, un point sur le confusionnisme aurait été nécessaire (notamment pour expliquer pourquoi le nazisme s’appelle national-socialisme et pas national-libéralisme ou fascisme ++).

Pour le reste, Politikon est d’excellente tenue : à jour sur toutes les idéologies, y compris les plus récentes comme l’écofascisme, Karim Piriou dresse le portrait de cinq siècles de philosophie politique et leurs conséquences historiques. Son ton est nuancé et souvent analytique, de sorte que n’importe quelle sensibilité pourra s’y retrouver, ou au moins recevoir des objections constructives. La documentation sérieuse montre qu’il a lu des écrits universitaires et ne s’est pas contenté de quelques brochures de Madame Figaro, contrairement à nombre d’éditorialistes dont on ne citera pas le nom. En somme, il s’agit d’une bonne porte d’accès vers la politique, exigeante mais très récompensante (j’ai dit que c’était de la vulgarisation, pas que ça tombe tout cuit dans le bec) pour qui voudrait s’y intéresser.

Filippi & Laumont — Terra Prohibita : Mini-rétrospective

Dorian est un tueur de sang-froid. Hanté par le fantôme de l’enfant qu’il a été, il ne travaille que pour lui-même et se livre à des expériences végétales en-dehors de toute éthique. Un beau jour, des détectives frappent à sa porte et commence une folle aventure…

Filippi nous livre une aventure d’action semblable à Fondation Z (mais avec un scénario, cette fois). C’est toujours un plaisir de voir le scénariste de Mickey & la Terre des Anciens s’entourer de si bons dessinateurs, capables de fournir des pelletées entières de sense of wonder™ (décidément l’expression qui aura été la plus répétée sur ce blog). Et pour cause : Terra Prohibita est un mélange de steampunk, d’espionnage et de… biopunk. Les savants se sont en effet amusés à créer toutes sortes d’espèces de plantes afin d’en extraire des substances révolutionnaires, et leurs expériences leur ont quelque peu échappé, à l’image de cette zone de quarantaine en plein Paris, devenue une jungle semblable à celle du film Annihilation. Il en résulte un trip visuel à la fois magnifique et terrible que ne font que sublimer les décors Art Nouveau ; sur ce plan-là, je suis plus que comblé.

Par contre, au niveau du récit, tout s’emballe trop vite. On peine à reconnaître les personnages et à s’y attacher, et les enjeux de ce monde totalement réinventé nous échappent tellement on ne nous explique rien. Le background de cette uchronie a des conséquences politiques très concrètes, et les rares fois où on les traite, c’est de manière extrêmement bâclée : Gus et Valérie sont des journalistes qui informent sur les mauvaises conditions de vie des colons ; dans ce cas, pourquoi ne parlent-ils pas également de celles des colonisés ? La palme du cringe revient au moment où la demoiselle raconte qu’elle vient d’une famille de petits propriétaires s’étant faite déposséder à cause de migrants, typiquement le genre de récits démagos appréciés au RN…

Premier diptyque de ce qui s’annonçait un cycle long et prometteur, Terra Prohibita n’aura au final jamais de suite (ce ne serait pas la première fois qu’on nous fait le coup). Dommage, j’aurais bien aimé voir évoluer son antihéros. Et plus encore, découvrir un peu mieux cet univers fabuleux…

Brian Eno — Ambient 4 : On Land

cover_1610174102016_rJ’ai critiqué les trois premiers, donc allez hop ! On vous met la fin avec, la bonne dame. Terminant la série de disques Ambient, incontournable pour tout public amateur (surprise) d’ambient, On Land signe le retour aux manettes d’un Brian Eno en solitaire plus tourmenté qu’il ne l’était lors de Music for Airports. Et pour cause : par-delà la jaquette plus bizarroïde que les précédentes, il s’agit du disque signant les débuts officiels… du dark ambient.

Si l’on n’y trouve pas les sommets d’angoisse stratosphériques d’Atrium Carceri, Aghast et autres Diagnose : Lebensgehfahr, force est de constater que l’album n’a en rien mal vieilli : bruits indistincts entre le grincement et le gémissement, vieux synthés au son râpeux, mélopées étouffées ressemblant à des râles, il y a déjà là nombre des éléments qui seront repris ensuite par les artistes qui approfondiront le genre. Mais plus encore, le côté « soft » du disque permet de garder une cohérence avec les albums précédents : on retrouve ainsi des notes de piano et d’instruments électroniques plus claires et douces, permettant de conserver l’introspection et la mélancolie qui forment la substantifique moelle des quatre opus. Je mentirais en vous disant qu’il s’agit de mon volet préféré : on n’y trouve plus grand-chose de la quiétude qui m’avait initialement séduit dans cette série de disques. Mais il s’agit peut-être du plus visionnaire.

L’Arbre Vagabond

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De temps en temps, j’aime bien laisser un avis sans prétention, à la TripAdvisor, sur ce qui n’en déplaise à certains anarchistes reste aujourd’hui les principaux établissements où il est possible de pratiquer et d’apprécier l’art gastronomique : les restaurants. Mais je vous avoue que ce coup-ci, c’est surtout un prétexte : je n’ai pas grand-chose à dire sur le resto de l’Arbre Vagabond, si ce n’est qu’on y sert une nourriture agréable ; et carrément rien sur sa cave à vin, puisqu’en grand œnophobe, j’y préfère les binouzes de tout poil. À noter toutefois que l’établissement fait profiter de sa proximité géographique une confiserie dont les guimauves sont délicieuses, mais qui donnent des maux de gorge pas possibles si vous les mangez toutes d’un coup.

Non, si je voulais tant vous parler de L’Arbre Vagabond, c’est parce qu’il fait aussi office de librairie. Dans un coin particulièrement verdoyant de la Haute-Loire, patrie de mon cœur et presque natale, vous pouvez y trouver des livres de voyage et d’écologie de toutes sortes, sans compter de nombreux ouvrages politiques et surtout de la poésie en partenariat avec les boss actuels du game : les éditions Cheyne. De nombreuses activités sont également au rendez-vous, expositions, rencontres avec des maisons d’éditions alternatives, festivals de littérature ; en ce moment a lieu un mois sur la critique du système carcéral.

L’Arbre Vagabond n’est pas un établissement qui m’a toujours plu : sa quasi-absence d’ouvrages sur l’Imaginaire, son attachement à des littératures difficilement accessibles, ses aspects proprets, en font un endroit qui pourra parfois sembler hautain. Mais ce blog s’appelle « C’est pour ma culture », pas « C’est pas ma culture » : passé le côté un peu « intello parisien », vous découvrez un établissement varié et sympathique où vous pouvez à la fois lire, manger et boire, bref : un lieu plein de pantagruélisme.

Benjamin Patinaud — Le syndrome Magneto

114282_e948512cb9e4dd8f790c56975488915dQui c’est qui est très gentil ? Les gentils. Qui c’est qui est très méchant ? Les méchants. Oui, mais qui c’est qu’on aime au final ? Les méchants !

C’est donc parti pour Benjamin Patinaud alias Bolchegeek (un des rares youtubeurs que je connaisse à faire des analyses politiques de la pop-culture sans pour autant verser dans la doxa militante), qui en 400 pages explique comment les méchants cultes ont souvent des motivations plus complexes que le simple manichéisme qui leur était attribué. Le syndrome Magneto, c’est ça : cette tendance à être d’accord avec la vision du monde du héros, mais beaucoup plus radical dans son approche politique et philosophique du monde, quitte à être moins sourcilleux sur son éthique de travail. Les créateurs de ces méchants presque gentils ont des motivations diverses : incapacité de faire dire ce qu’ils veulent à leurs héros à cause d’un contexte éditorial qui joue en leur défaveur, désir de rendre un personnage subversif, ou plus basiquement paresse et malhonnêteté intellectuelle pour attirer le chaland.

Le passage de la vidéo originelle au livre se fait en toute fluidité : on s’amusera de retrouver nombre des citations, zeugmas et autres mélanges des registres qui forment le style baroque de l’auteur. Cela lui permet également de développer considérablement plus son propos : ainsi des sujets aussi variés que l’écoterrorisme, les représentations du handicap ou encore la sorcellerie sont traités. Par contre, grosses réserves sur le répertoire qui clôt l’ouvrage : il y manque des méchants remarquables tels que Tyler Durden, l’Hypnotiseur des Indestructibles 2, la Section 31, et peut-être le personnage le plus injustement maltraité de tout Star Trek : le lieutenant-commandeur Chris Eddington. Et puis l’ordre alphabétique, c’est pas pour décorer le plafond, jeunes gens ! Et tant qu’à faire, lisez aussi les critiques de Nicolas Winter et du Bibliocosme, c’est pour votre culture.