Je me la coule douce en master Création littéraire : étant le meilleur élève de ma classe, on m’a sacré roi dès que j’ai posé les pieds dans cet établissement, et depuis la vie n’est plus pour moi que vahinés, soirées homards et cocktails exotiques. On est si bien là-bas que je crois même avoir oublié quelque chose… Voyons… Ah, oui ! J’AI UN BLOG !!!

Bon, vous connaissez la chanson : comme d’habitude j’ai rien préparé pour cette semaine, donc je vais causer brièvement de cinq œuvres qui m’ont marqué ces temps-ci. C’est donc parti pour un roman, deux BD et deux films.

Filippi & Camboni — Mickey & la Terre des Anciens [Mention Lu & approuvé]

9782344038314_largeIl semblerait que la collection Un Spirou par…, acclamée avec force louanges sur ce site, ait fait des petits : il y a eu depuis une collection analogue pour Valérian et Laureline, et même une pour un héros outre-Atlantique, rien de moins que Mickey ; une flopée d’auteurs a ainsi pu rendre son petit hommage à la souris la plus riche du monde.

Et si vous croyez que Filippi et Camboni vont en livrer une version orthodoxe, comme dirait le grand philosophe Didier Bourdon, vous vous fourrez le doigt dans l’œil jusqu’aux couilles : finie l’égérie capitaliste qui se contente de sourire aux enfants dans les parades d’Eurodisney, on a ici un travailleur à la dure, désireux d’aider son prochain, écrasé par un système autoritaire cynique. Ah, parce qu’il faut que je vous explique : dans ce monde-ci, Mickey vit sur des îles volantes gouvernées par le Fantôme Noir. Sans que l’idée soit révolutionnaire dans les littératures de l’Imaginaire (on pourrait remonter jusqu’à Laputa), on peut toutefois noter la somptuosité graphique dont fait preuve l’album, en plus du fait qu’il prend son worldbuilding très au sérieux : il existe une géographie aérienne, susceptible même d’être changée artificiellement, et on se déplace d’une île à l’autre par des oiseaux plutôt que de faire intervenir un autre trope beaucoup plus utilisé (c’est-à-dire le bateau volant).

Magnifique de bout en bout, Mickey & la Terre des Anciens a su capter l’essence de la fantasy dans ce qu’elle a de plus émerveillant ; on découvre également avec plaisir des réinterprétations plus ou moins surprenantes de différents personnages bien connus. On regrettera juste une fin assez précipitée, ainsi que deux-trois raccourcis de scénario.

Alice Ferney — Le règne du vivant

couv63952469Allez hop, un quota de littérature blanche pour qu’on ne m’accuse pas de propagande gobeline. Le règne du vivant suit les aventures de Gérald, jeune journaliste embarquant dans l’équipage de Magnus Wallace, sorte de Sea Shepherd survolté n’hésitant pas à faire naufrager les bateaux des braconniers. Récit de voyages teinté de roman d’aventures, cet éloge du monde aquatique nous berce autant qu’il nous hérisse d’images marquantes, tantôt splendides quand il montre la nature, tantôt révulsantes quand il s’agit de montrer les activités polluantes. Outre les descriptions poignantes, il faut aussi signaler le personnage fascinant que constitue Wallace, une force de la nature à la démarche brute et radicale mais pourtant s’avérant lui et son équipage extrêmement cultivés.

Ce personnage de fiction, s’il n’était pas inspiré par d’autres bien réels, suffirait presque à légitimer le fait que nous ayons affaire à une fiction plutôt qu’à un reportage. Car tout est raconté avec un tel souci de précision et d’authenticité que l’on se demande si le livre n’aurait pas été meilleur en poussant ce parti pris jusqu’au bout, et en montrant les pérégrinations de l’autrice parmi les sauveteurs d’animaux en haute mer. Ceci n’étant pas le cas, il devient difficile de démêler le vrai du faux.

Enfin, deuxième problème selon moi bien plus grave, le livre ressemble à un tract politique de deep ecology : à aucun moment la démarche du personnage principal n’est contredite et il est presque systématiquement érigé en héros, méprisant l’ensemble du reste de l’Humanité au nom d’une « nature humaine » qui ferait de nous la seule espèce mauvaise par essence, et la seule capable de nuire à un ordre naturel sacralisé. Alice Ferney tape avec la même virulence sur tout le monde : riche comme pauvres, tiers-mondiens comme occidentaux. Sans trop entrer dans la politique, je pense qu’il vaudrait mieux regarder les mécanismes socio-économiques qui nous poussent justement à nuire à l’environnement, plutôt que de s’emmurer dans une misanthropie fataliste.

On pourrait enfin ajouter quelques tournures de phrase un peu trop alambiquées (« gravide » au lieu de « fécondée », « gestante » au lieu d’« enceinte »), et on aurait vraiment l’impression que j’étrille ce bouquin. Mais c’est bien loin d’être mon intention : si malgré tout vous avez soif de parcourir les sept mers portés par une plume lyrique, le tout pour une noble cause, je ne peux que trop vous le recommander.

Gihef & Dominici — Alamänder, tome 1 : Mystère à la tour de l’horloge

9791097477219-475x500-1Tout a commencé par un coup de tête. En bas de la critique du tome final du Cycle d’Alamänder, je trouve un mystérieux commentaire m’assurant que mes félicitations seront transmises à l’auteur et que Retzel m’embrasse. Fou de joie à l’idée de recevoir un traitement de faveur de la part du Grand Prince des Enfers, j’apprends aussitôt après que la saga va être adaptée en BD. Les premières esquisses ne sont pas franchement à mon goût, mais qu’importe ! Je vide mon porte-monnaie dans leur financement participatif d’un montant pharaonique d’au moins 20€.

Et le résultat est celui que j’attendais mais aussi redoutais : le monde d’Alamänder croqué par Gihef et Dominici est bien plus conventionnel que ce que je me figurais : des couleurs moins flamboyantes que sur les couvertures des éditions Leha, des architectures et des végétaux moins psychédéliques que ce qu’on aurait pu souhaiter, tout fait au final penser à un antique / médiéval-fantastique bien plus conventionnel que ce que laisse présager le matériau de base. Même la couverture de l’édition de luxe est moins belle que celle normale ! Et le scénario ne va guère mieux, gardant les longues explications du bouquin dans un format qui ne s’y prête guère, tandis que le combat de Maek contre le géant de blé est torché en deux cases.

Mais il y a malgré tout des points positifs : le monde possède enfin une carte, la plupart des blagues ont été conservées… et Retzel est superbe. Bref, tout comme Stéphane Gallay, je suis mitigé mais pas franchement déçu ; pas sûr, en revanche, que je décide d’acheter la suite.

George Miller — Trois mille ans à t’attendre

388eb1dc1a4850750e4bfefbf23f2870Alithea aime les contes. Mais bien rangés, classés avec des étiquettes par ordre alphabétique. Pas question d’imaginer que ces vieilles superstitions contiennent un fond de vrai. Jusqu’au jour où alors qu’elle est de passage à Istanbul, un mystérieux panache de fumée sorti d’un vieil objet prenne soudain forme humaine et se mette à lui demander de faire trois vœux…

C’est peu dire que j’attendais le prochain film de George Miller après l’excellent Mad Max : Fury Road. Un autre film tout aussi baroque avec des couleurs toutes aussi pétantes mais une gamme plus variée ? N’en dites pas plus, je signe ! Après avoir vu quelques réactions négatives, j’ai pourtant baissé le niveau de mes attentes. Je n’aurais pas dû. Certes le rythme du film est assez irrégulier, sans qu’on sache toujours où il aille. Certes le réalisateur fait parfois passer son message avec un peu plus de gros sabots que d’habitude. Enfin et surtout, il y a la frustration de la durée : on ne verra que très peu de temps la fascinante cour de la reine de Saba qui aurait pu suffire à elle seule pour un long-métrage de deux heures, et les djinns déambulant à Istanbul en toute liberté sont évacués du récit aussi vite qu’ils sont introduits, faute de temps sans doute.

Mais je serais un parfait ingrat élitiste et pourri-gâté (je veux dire, encore plus que je ne le suis déjà) si je ne reconnaissais pas au film de faire du Cinoche avec un grand C. Des plans marquants montrant des choses qu’on n’avait jamais vues auparavant, de petites touches de New Weird venant accentuer les bizarreries, et surtout de multiples degrés de lecture (comme en parle dans une de ses excellentes critiques le camarade Yannick Dahan) en font un film passionnant à regarder, jamais à court d’idées, conciliant aussi bien l’imaginaire ancien que celui plus moderne. Science et magie ne sont pas incompatibles dans l’univers que dresse Miller : le pouvoir des djinns possède une explication scientifique, et notre science est de la magie pour lui. Mais notre culte de la technologie, notre désintérêt pour les traditions, les mythes, leurs émerveillements et parfois même leurs vérités, rendent ces deux mondes antagonistes. À travers ce très beau film, Miller fait un constat amer mais lucide sur notre époque tristement blasée : il nous faut réapprendre à rêver.

Aki Kaurismäki — Leningrad Cowboys Go To America

leningrad_cowboys_go_americaEt terminons sur une comédie culte du cinéma finlandais : le premier opus de la saga des Leningrad Cowboys, bande de musiciens soviétiques reclus au fond de la taïga, et dont le manque d’instruction musicale le plus élémentaire en fait le pire groupe de rock de tous les temps. Or voilà-t’y pas que nos bougres décident de se taper une tournée aux États-Unis afin de rencontrer la gloire, le succès, et le sourire hilare du spectateur. Ce ne sera pas facile : car les Leningrad Cowboys ratent tout… même leur propre film !

Déjà, on pourrait se demander l’intérêt fondamental de faire un rock movie sur un mauvais groupe, sachant que le spectateur devra se taper tous leurs morceaux qui ne sont pas censés être audibles. Dans un roman humoristique, on peut se moquer de la musique en la défonçant, pardon en la décrivant à grands coups d’hyperboles et de comparaisons absurdes, à l’écran on les voit juste jouer. Si encore c’était fait avec un véritable talent de mise en scène, on aurait une bonne comédie musicale ; mais les scènes de concert n’assument jamais leur folie jusqu’au bout, aucun partage en cacahuète, aucun gag en arrière-plan. Et dites-vous bien que tout le reste du film sera du même tonneau : les blagues éculées se succèdent lentement dans un montage qui ferait passer Bruno Dumont pour un hyperactif sous kétamine. Les héros sont presque une dizaine et seulement une poignée possède une personnalité qui les distingue des autres, personnalité qui de toute façon n’évoluera jamais. Bref, pour un film aussi court, cette séance a peut-être été la plus longue de toute mon existence.

Et la suite n’est pas pour me rassurer : l’opus suivant s’appelle Les Leningrad Cowboys rencontrent Moïse, puis le réalisateur est même allé jusqu’à faire un concert de son groupe, Leningrad Cowboys Total Balalaika Show, qu’on pouvait encore voir jusqu’à récemment sur Universciné assorti de six courts-métrages pour un rendu avoisinant les trois heures. Je m’enfuis tout de suite dans un bunker pour ne pas les voir : si vous y tenez, vous me raconterez comment c’était, c’est toujours bon à prendre pour ma culture…

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