Livre lu pour le challenge de Ma Lecturothèque (10/48)

(Vous connaissez Le chant du loup ?

Bon, d’accord, j’arrête de vous la faire à chaque fois.)

La Horde du Contrevent, la première fois que je l’ai vu, ça me faisait plutôt envie. J’étais gamin, à la Fête du Livre de Saint-Étienne, et on le vendait dans un stand avec l’autre roman de l’auteur, La Zone du Dehors. Une histoire avec des explorateurs, un paysage de dingue sur la couverture, tout ce que j’aime, quoi. Du coup je l’ai tourné et retourné en sachant que je n’avais pas les pépettes, et j’ai pas fait gaffe à qui occupait le stand.

« Hé, Scribouille ! Ça s’trouve, c’était lui, Alain Damasio !

Balec, tout c’qui m’intéresse, c’est l’bouquin ! »

Et puis bon, le temps qui passe, on commence à en entendre parler tout autour de soi, L’Obs consacre même trois pages à l’auteur, et puis à force d’en entendre des critiques dithyrambiques, on se met à s’en méfier. Vous savez comment je suis, ceux qui me suivent sur le blog, et je n’hésite pas à jouer les fines bouches histoire d’avoir un avis plus nuancé et d’ainsi éviter d’avoir le même copier-coller informe des 300 000 autres qui auront chroniqué le même livre. Après quoi, on vous explique qu’il est très dur d’accès, voire inutilement parce que l’auteur joue un peu trop sur les mots dès qu’il peut (normal, c’est un français), et puis vous commencez en voyant les bords politiques assez tranchés de sa maison d’éditions à vous demander si Alain est pas un peu le Mélenchon de la littérature sans les pétages de plomb ni les hologrammes, ou pourquoi si c’est le classique qu’on nous vend ça n’a pas été traduit chez les anglo-saxons. Enfin bon, je râle, je lorgne dessus, je râle, je lorgne dessus, je lorgne dessus… Et puis je me lance.

Résumé foireux pour ceux qui ont pas suivi

La Horde du Contrevent, c’est LE livre pour faire grincer les dents chez les uns, LE livre qui déclenche des critiques orgasmiques chez les autres. OVNI littéraire, roman expérimental, SFF inclassable, recueil de calembours, c’est l’histoire de vingt-trois mecs qui partent un jour se refaire la tignasse vers l’Extrême-Amont dans leur monde, c’est-à-dire d’où vient toujours le vent dans leur univers, le vent qui est au centre de leur cosmogonie, le vent qui fait que du coup on se demande qui le fabrique et à quoi ressemble le monde par-delà l’endroit d’où il démarre. On suit donc leur odyssée, sachant que trente-trois groupes comme eux ont déjà échoué ; mais ceux-là sont les meilleurs (du moins selon ce qu’on leur a dit, parce que savoir que des centaines de mecs des Hordes précédentes se sont faits buter dans leur quête auparavant, ça doit pas être très rigolo). On découvre leur voyage initiatique en somme, mais dans un univers hors du commun et AVEC TOUTE L’INTENSITÉ PSYCHOLOGIQUE. Imaginez-vous des rafales de centaines de kilomètres-heures sans des paysages qui feraient passer l’Arctique pour le yacht de Claire Chazal et dites-vous que vous allez vous manger ça pendant 700 pages. Ça a l’air autre chose que Nos cœurs en désaccord, pas vrai ?

Sauf qu’à côté de ça l’auteur raffole des néologismes, que 23 types parlant à la première personne, ça reste pas mal, surtout si on change en permanence de points de vue, et que j’entends pas mal dire qu’Alain Damasio aime un peu trop jouer sur les mots parfois au détriment de la poursuite du récit. La Horde du Contrevent, c’est donc le livre qui rend chèvre, le livre français qu’on dit exigeant à outrance, et avec une fin très fameuse mais du coup tellement secrète et tue qu’à côté Voldemort ressemble à la mort de John Snow. Mais bon, tout ça retrace juste les grandes lignes, un bilan purement objectif de tout ce qu’on a déjà dit ; qu’est-ce MOI, j’en ai pensé ?

Worldbuilding*

* Windfall, The Fat Rat (2014)

Les jeux sur les mots n’empiètent pas sur le récit.

Voilà. C’est dit. Ça peut ne pas plaire à tout le monde, d’autres aspects du style sont effectivement pénibles, mais ils ont en général leur utilité au sein de celui-ci, comme à Alticcio par exemple. Ils servent parfois à l’intrigue, le reste du temps ils servent de termes techniques à travers l’univers complexe que créée l’auteur, mais ils ne freinent en rien le rythme.

Et en parlant de l’univers, c’est bien la qualité de ce livre qui est indéniable : le background est riche et unique, tant par ses éléments que ce autour de quoi il s’axe. Le vent est au cœur de tout, une science a été créée pour étudier sa composition et le classifier (ce que excusez-moi je n’ai vu nulle part ailleurs à part dans les Chroniques du bout du monde), il modifie les paysages et même l’environnement (cf. les fameuses méduses volantes) de par sa violence extrême au point que les villes et villages sont obligés d’être reconstruits tous les deux-trois ans ou protégés par une forteresse, on ne sait pas d’où il vient et c’est là tout l’objet de la quête. C’est simple, c’est tellement anormal qu’on sait même pas si on doit classer ça en SF ou fantasy. Certains trucs étant tout de même un peu trop fantaisistes (les muages et un ou deux chrones par exemple demandent une grosse suspension d’incrédulité) et les sciences étant davantage des inventions de l’auteur qu’un prolongement de celles réelles, j’ai choisi pour ma part de le classer en fantasy, mais comme ça prolongeait finalement aussi un peu (peut-être maladroitement il y a une confusion entre le temps et la durée à un moment je crois), j’ai fini par classer ça en science-fantasy, par précaution. Mais même là, rien à voir avec le tout venant.

L’inspiration médiévale, les combats épiques, Tenebror le seigneur des ténèbres qui débarque en vaisseau spatial ? Laissez tout de suite tomber, les gars ; le père Alain fait dans l’artisanal, et si certaines vagues descriptions ou consonances évoquent des cités gothiques ou de la Renaissance, il y en a aussi qui sont davantage inspirés orientales et on en est quand même à un stade avancé côté mécanique malgré que la plupart des gens survivent encore à la dure. Alors on pourra se demander forcément c’est quoi l’intérêt de remonter jusqu’à l’Extrême-Amont à pied quand on pourrait bricoler pour ça une super-bagnole volante, mais c’est pas forcément incohérent dans la mesure où vous êtes dans une culture avec un gros sens de l’honneur, qui aime bien les théories rousseauistes… et puis bon sans doute aussi qui peut pas payer le même matos pour chaque Horde !

Contrairement aux reproches que j’ai d’ailleurs pu lire sur Internet, ce n’est pas illogique qu’ils préfèrent voyager à pied qu’en machines, l’Amont finissant par devenir inaccessible à celles-ci en raison d’un important obstacle : la chaîne de Norska. Et le fait que les Hordes ne s’y rendent pas directement à bord d’un engin est tout simplement qu’elles auront, en faisant le chemin à pied jusque-là, été suffisamment entraînées pour dépasser ce cap. Bref, en un mot comme en cent : le worldbuilding d’Alain Damasio reste parfaitement cohérent dans les idées phares qu’il avance.

Par contre, c’est dans les détails qu’on peut se poser des questions : un des gars décide d’achever un mourant avec un marteau plutôt que son poignard : c’est sûr que c’est tellement moins douloureux de se prendre des éclats de boîte crânienne dans la cervelle que de mourir en quelque secondes avec un trou dans la jugulaire ! Callirhoé est heureuse parce qu’on lui a sauvé la vie, deux jours après on apprend qu’elle fait de la dépression depuis deux jours parce qu’un proche est mort sous ses yeux une demi-heure avant son sauvetage, ce qui n’est pas super-cohérent. Les personnages semblent avoir le même alphabet et la même langue que nous (et la même place dans l’Univers, étant donné que la Voie Lactée est citée), bon, passons, après tout, il y a des millions de mondes qui ont trouvé comme par hasard l’architecture médiévale, mais la sévérité à faire pâlir Severus Rogue de l’école des hordonnateurs d’Aberlaas, où on laisse les gamins se réduire en charpie… Ma foi ça peut être crédible vu les dogmes et les luttes entre factions politiques, mais on n’y accède que par la mémoire de Golgoth, amplifiant tout le trash sans que nous n’en sachions jamais plus sur le pourquoi du comment. Avec des traumatismes pareils dans l’enfance, pas étonnant qu’aucune Horde ne soit allée jusqu’au bout (ah là, là, mais c’est normal, il faut que les élèves prennent leur autonomie…).

Style, immersion, niveau d’exigence

Vous l’aurez compris, un tel univers demande une certaine sortie de sa zone de confort, et pour garder une écriture intéressante malgré tout, autant faire du gros in medias res qui ne facilite pas le lecteur non-prévenu. Les gens qui se plaignent de la complexité du livre ont néanmoins placé la barre d’exigence excessivement haut. Sans mauvais jeu de mots, je m’attendais à des rafales de néologismes et calembours en tout genre, mais le texte ne devient jamais illisible bien qu’il nous échappe quelques trucs. Quant à ceux qui se plaignent qu’on a 23 personnes et qu’on change de point de vue toutes les cinq minutes, l’auteur nous ménage quand même en mettant 75% du temps quatre ou cinq qui sont toujours les mêmes, donc : d’accord, c’est un niveau de subtilité un peu plus élevé qu’une vidéo de Squeezie, mais faut pas pousser le bouchon trop loin non plus.

Alors oui, c’est exigeant, mais bien moins que par exemple Dune, et ceux qui ont déjà lu de la SF adulte se sentiront très peu perdus. Par contre, là où ça peut coincer, c’est au niveau du style. La prose est alambiquée et fleurie et les blagues arrivent parfois dans les pires moments avec Caracole, le troubadour mi-marrant mi-casse-pied de l’équipe qu’on adore ou qu’on adore détester. Le roman trouve néanmoins des moments de grâce particulièrement forts dans ses périodes poétiques et sait se faire bref quand il le faut, ce qui parvient à créer l’immersion que le livre cherche à atteindre. Alain Damasio a le truc, ce qui rend un récit magique, que ce soit dans la dynamique qu’il impose comme dans les péripéties qu’ils inflige, au point que le livre devient une vraie drogue ; mine de rien, ça m’arrive pas souvent, de lire un bouquin quasiment sans regarder quand est-ce que le chapitre finit.

Cela dit, on a quand même quelques trucs discutables : on passe sans cesse du présent au passé, du passé au présent et c’est tout de même bluffant qu’aucun correcteur ne s’en soit rendu compte. Sans doute Alain Damasio voulait-il recréer le présent de narration des récits de chevalerie, mais ce choix devient plus discutable quand le changement de temps a lieu dans la même phrase.

Personnages*

* The Doors, Riders on the Storm (le remix des Infected Mushrooms, la vraie version on la laisse pour Apophis je lui pique déjà ses idées, la vedette et ses vestales, je vais pas lui prendre en plus sa musique ?!) (2009)

Ils sont un peu inégaux, la plupart très bien campés, d’autres à la psychologie anecdotique. Cela dit, difficile de faire un sans-faute pour vingt-trois protagonistes. Je précise au passage que les gens s’expriment avec un langage allant du poétique raffiné au vulgaire le plus bas, ce qui pourra choquer certains, mais quand je vois une grossièreté non censurée dans un livre de SFFF français, je me dis : Enfin des gens qui parlent normal ! Par contre, on me vendait le livre comme un style unique pour chaque personnage, mais à vrai dire, à part Caracole qui joue sur les mots trois fois par phrase et Golgoth qui s’exprime à grands coups de « Bord*l de b*te de poil de cou*lle », les autres voix du récit n’ont pas de grandes particularités, ce qui fait par ailleurs que j’ai eu des fois du mal à trouver certains changements de points de vue pertinents.

Afin de vous aider à cibler les personnages et histoire que vous sachiez leur niveau de complexité, j’ai fait un récap avec avant chaque nom le symbole qui est utilisé dans le livre quand celui-ci prend la narration à la première personne :

  • Ω Golgoth est le Traceur, le chef et celui qui marche devant tout le monde dans la Horde en cas de vent violent (pensez aux chefs de migration d’oiseaux). Condensé de haine pure, détestant l’univers entier pour les tortures qu’Aberlaas lui a fait subir sous prétexte d’entraînement, il cherche la Horde précédente commandée par celui qui l’a fait le plus souffrir : son père. Loin d’être monolithique pour autant, on devine en effet qu’il refuse de s’ouvrir au monde suite à ses traumatismes, ce qui en fait un protagoniste extrêmement crédible. Sa détermination en fait aussi un personnage terrifiant, un adversaire qui fait pas dans la dentelle et le lecteur pas né de la dernière pluie frémit pour quand celle-ci finira par être mise à l’épreuve.
  • π Pietro Della Rocca est un Prince, autrement dit un représentant de la noblesse au sein de la Horde, mais au final un membre comme un autre. Le fait qu’il se sente obligé d’être plus noble que les autres — qu’il doive être davantage bon, davantage aidant — en fait un personnage se forçant à se dépasser lui-même, bien plus nuancé que le clichéique « aha je suis un bourgeois de première, vous crevez tous pour survivre pendant que je vous crache à la gueule ». Cette thématique reste en retrait mais bien présente et au final traitée d’une manière très réussie.
  • ) Sov Strochnis est un scribe, chargé de répertorier les péripéties du voyage et les manifestations du vent qui pourront être étudiées à Aberlaas. Ce qui n’en fait pas un personnage-robot car il possède à côté de ça une vie sentimentale toute en finesse.
  • ¿’ Caracole est, comme déjà dit, un troubadour pris en chemin ; l’esprit volage et véloce, un bon gars mais un vrai gosse, et qui peut pas s’arrêter cinq minutes. Le fait d’inventer le contrepied total de Golgoth donne une grande légèreté aux pans de récit que celui-ci monopolise ; il est extravagant, peut-être trop pour certains, mais son grand potentiel est qu’à force de mêler rire et sérieux, on ne sait jamais quand il s’arrête, ce qui en fait un personnage à deux facettes très singulier.
  • Δ Erg Machaon est le combattant-protecteur, en gros le mercenaire sauf qu’il est même pas payé. Une véritable machine à tuer, Golgoth en moins nuancé, en moins présent et en moins bien. Au passage, il y a une scène limite porno avec lui, justifiée par le scénario, mais pas franchement nécessaire. Mais ce qui l’unit au seul être auquel il tient parvient finalement à lui donner une épaisseur.
  • ¬ Talweg Arcippé est géomaître. Il parle lui aussi un peu avec ses tripes sans être pour autant un mauvais bougre. Un personnage qui reste pas plus creusé que ça.
  • > Firost de Toroge, pilier (en gros si j’ai bien compris celui qui passe dans les formations juste après Golgoth). Peu creusé.
  • ^ L’autoursier, oiselier-chasseur : fauconnier mais avec un autre oiseau qu’un faucon ; en l’occurrence un autour, une créature diaboliquement plus douée encore à la chasse. Le fait qu’avec ça on ne sache pas son vrai nom créée un vrai mystère autour de lui ; quel dommage qu’il reste ainsi en retrait ! Le seul élément venant approfondir sa personnalité est l’amour qu’il porte à son oiseau, contrairement au fauconnier, ce qui reste assez peu exploité.
  • ‘, Steppe Phorehys, fleuron (botaniste, quoi). Un gars sympa, et sur qui plane une menace étrange…
  • ) Arval Redhamaj, éclaireur. Peu creusé.
  • ˇ• Darbon, fauconnier. Peu creusé, en-dehors du moment où il commence à tourner brindezingue… mais chut.
  • Horst et Karst Dubka, ailiers (ils se positionnent « en aile », aux extrémités droite-gauche, quand la Horde est en formation, si je comprends bien). Leur gémellité en fait presque un personnage unique… jusqu’à ce que celle-ci soit mise à l’épreuve.
  • x Oroshi Melicerte, aéromaîtresse. Soucieuse de bien faire car la survie de tous en dépend. Sait enseigner des notions complexes sans cesser d’avoir des sentiments.
  • (·) Alme Capys, soigneuse, peinant à s’occuper avec son peu de savoir de vingt-deux autres se blessant souvent au cours de leur périple, ce qui en fait un personnage rejeté par Golgoth et anxieux, qui prend son relief et son humanité le long de l’histoire… mais qui reste pourtant au second plan.
  • <> Aoi Nan, cueilleuse et sourcière. Je ne sais pas vous, mais j’ai trouvé quelque chose dans son point de vue assez mélancolique, ce qui en fait un autre personnage en retrait mais loin d’être transparent.
  • Larco Scarsa, braconnier du ciel, un ancien membre du peuple des Obliques qui s’est joint aux oiseliers-chasseurs avec ses pièges. L’admirateur et rival de Caracole, ce qui en fait un personnage complexe peinant à vaincre sa timidité tout en ayant peur de le détrôner, ce qui reste d’un importance très mineure mais réussit à lui créer une personnalité.
  • Léarch, artisan du métal. Peu présent.
  • ~ Callirhoé Déicoon, feuleuse (s’occupe du feu), et accessoirement femme forte sans pour autant être une nibard-woman dézinguant cinquante barbares la seconde. Sa relation au sein de la Horde, avec la famille qu’elle a eu, est poignante et tellement réaliste qu’en très peu de pages, Alain Damasio nous fait un personnage cinq étoiles.
  • Boscavo Silamphre, artisan du bois. Il aime la musique plus que tout, ce qui finira indirectement par lui donner une dimension douce-amère très bien écrite.
  •  Coriolis, croc (apprentie Hordière en gros — les travailleurs corvéables à merci). La petite copine à Caracole. Discrète, mais attachante.
  • Sveziest, croc. Peu présent.
  • ]] Barbak, croc. Peu présent.

Le livre ne remplit pas complètement son contrat de faire parler toute la Horde : sur les vingt-trois, seuls vingt-et-un auront leur voix au chapitre (et encore, des fois moins d’une demi-page, format poche). Et à force de vouloir faire varier les registres, on se retrouve avec des phrases assez insolites du genre « foutue je suis » ou « Tu percutes point ». Vous reprendrions bien une tasse de pinard ?

Bref, vous l’aurez compris, si le livre n’a rien à se reprocher et même de très grosses qualités, il peut se montrer parfois contrasté (tout en restant très loin d’être mauvais) niveau qualité de ce qu’il met le plus en avant : ses personnages. Mais bon, on se rattrape vite avec la BO, hein ?

Bande-son*

*Bora Vocal, Rone (2009)

Kwâââ ?! Oui, une BO pour un livre : Alain Damasio a en effet eu recours à un certain Arno Alyvan pour composer un court EP joint à la troisième de couverture de l’édition La Volte (pour les gars de l’édition Folio SF, pas de panique, c’est sur Deezer). La plupart des critiques en ont fait abstraction car leurs sites parlaient de SFFF, pas de musique. Or coup de pot, je parle des deux.

Et autant vous dire qu’à livre unique, disque unique : les douze pistes qui nous sont proposées sont d’une qualité et d’une diversité extraordinaires. Du rock électronique mêlé à de la musique médiévale, tanguant parfois vers l’expérimentale, sans renier des influences tribales, trip-hop, de Pierre Henry ; bref, faire un tel cocktail mélodique (et un bon qui plus est), c’est tout simplement merveilleux que ça puisse exister. Ajoutez à ça quelques voix de personnages, récitées de manière théâtrale sans jamais tomber dans le pédant, mais bon sang ça a dû prendre des journées entières pour les enregistrer ! La Horde du Contrevent s’écoute autant qu’elle se lit, afin de se rapprocher au plus du désir de l’auteur : qu’elle se vive.

Quelques derniers trucs à dire*

*À la fin, Les 3 Fromages

Alors La Horde du Contrevent, chef-d’œuvre absolu à part quelques bémols amplement compensés ? Oui, à ceci près que les partis pris ont quelquefois tendance à se casser la figure. Le fait de changer souvent de point de vue et de vouloir être à l’intérieur même des personnages finit par peser sur le rythme de certaines scènes, entre deux pages d’info-dump en plein milieu d’un combat trépidant, les interminables tirades de Golgoth pas toujours justifiées ou les explications incessantes parfois limite cryptiques autour de l’air, du temps, du vent et des chrones. Cela dit, à côté de ça, on a des Mac Guffin qui savent tenir en haleine : on doit affronter les trois formes de vent les plus violentes, et puis on se dit que l’affrontement final sera avec le père de Golgoth, ou avec Norska, sauf que Pépé Shaolin et un mystérieux adversaire entrent dans la danse… Et quand je vois un livre aussi riche et aussi généreux sans pour autant se disperser dans tous les sens, j’ai généralement tendance à lui dire : « Continue comme ça, tu m’excites ».

Le magicbuilding / la pseudoscience va s’affinant, et me rappelle quelques-uns de mes systèmes de magie les plus ambitieux ; pour vous donner une idée, ça se rapproche des expérimentations vocales et respiratoires dans Dune, en rapport bien sûr avec le vent.

Certains moments émotionnels sont impressionnants de justesse. Et évidemment, il y a la grande question : Qui va mourir, et quand ? Alain Damasio sait manier le suspense en retardant les morts et en prenant le contrepied de ce à quoi on s’attend. Le dernier chapitre comporte quelques zones d’ombre, mais on reste quand même sur du (très) haut niveau.

Et la fin… KYYYYAAAAHHHHHHHH, LA FIIIIN !!!!! J’m’e suis autospoilé en regardant la dernière page de trop près ! Le pire, c’est que ça m’était arrivé déjà avec Seconde Fondation !!!!!!!!!! Le coup de génie, c’est que ça pendait sous le nez depuis le début ! Non, sérieusement, même lorsqu’on connaît l’élément final, l’auteur sait quand même nous surprendre. Nombre de gens ont été déçus, et très franchement les gars, à moins d’avoir des pulsions SM (même si je dirais pas contrairement à certains que ce roman est maso car j’ai lu juste avant Les Portes de la Maison des Morts qui est quand même une autre paire de slips), je ne vous comprends pas. Pasque non seulement cette fin est visuellement superbe, mais en plus elle est raccord avec les thématiques et les analyses qu’on peut en faire, ça explique pourquoi ceux qui les ont envoyés ne veulent pas qu’ils aillent au bout de leur quête (puisque faire toujours de nouvelles Hordes avec de nouveaux héros, ça doit bien les arranger pour calmer le peuple), ça explique le second livre de la Bibliothèque d’Ær, et puis vous alliez quand même pas penser que le roman se finirait par « Et je mourus, moi le dernier membre de la Horde, argh » ? Franchement, l’espoir on y croit plus du tout, on est bassinés par les explications sur le vif, les personnages se font dégommer en speedrun, et puis d’un coup on balance un coup de maître comme celui-là quand on y croyait plus de la manière où on s’y attendait le moins : elle est pas belle, la vie ?

Conclusion

Roman ultra-immersif, aux propositions très originales, La Horde du Contrevent n’est pour moi pas un sans-faute, mais chaque défaut est largement contrebalancé par une qualité. Alors qu’importent les calembours à pleines brouettes, les cours de pataphysique à ne plus en finir, l’amour des mots un peu trop prononcé, les promesses pas tenues à 100% ! Rappelez-moi, depuis combien de temps je n’avais pas lu quelque chose d’aussi prenant ? Les salauds gentilshommes ! Dieux que ça remonte.

Pour toutes ces raisons et maintenant que vous êtes prévenus, vous pouvez tenter ce bouquin dont la réputation est à peine exagérée. On retiendra Alain Damasio parmi les grands de la SFFF française, ceux qui l’élèvent au lieu de l’enfoncer, un de ces auteurs dont il faut avoir au moins tenté l’expérience. Enfin bon, c’est pour votre culture…

On achète aussi des ventilateurs chez : FeydRautha, VertHilde, Kissifrott (le Dévoreur de Livres), Eäron Valil (itou)Mariejuliet, Rose, Moun, La Brigade du Livre, BlackwolfLhisbei, Naufragés Volontaires, Hilde, Lhorkan, Reveline, Craklou, JulieblackPimousse4783Magda Dorner (ActuSF)Pascal PATOZ (nooSFere)Lucie CHENU (pareil)Patrick IMBERT (pareil)Jean-Marc LIGNY (pareil), Elbakin, L’ours inculte, BoudhiccaAelinelCélindanaéCaroEncres & CalamesZeb, Gaëlle, Le Tanuki

https://www.deezer.com/fr/album/4605691

PS : Je profite de cet article que je sais qui va être vu pour lancer un énième appel contre la réforme des lycées, qui est selon moi et la plupart des enseignants français une catastrophe vraiment dégueulasse pour les gars de ma génération. À ceux qui seraient éventuellement intéressés par ce sujet, tout sera dit dans une vidéo qui s’affichera bientôt ci-dessous réalisée par un professeur de cinéma hautement qualifié et au charisme certain, avec en prime un jeune acteur au talent minimaliste incroyable (moi). Je ne vous oblige évidemment pas à la regarder car mon blog n’est normalement pas politique et continuera à poster un contenu idéologiquement neutre, même si je ne saurais que trop vous conseiller d’y jeter un œil… car c’est pour la culture de tout le monde.