En bon anarcho-wokiste tirant en cachette les ficelles de Disney, j’ai remarqué que mon blog ne contenait pas assez d’auteurs racisés (ne parlons même pas des autrices). C’est d’autant plus dommageable qu’ils parlent bien souvent dans leurs textes de leurs cultures, ce qui serait l’idéal pour quelqu’un comme moi en ayant ras la casquette de la SFFF et du cinéma occidentalo-centrés (à base de transhumanistes s’extasiant devant le dernier pet d’Elon Musk et de chevaliers pourfendant tellement d’orques et de dragons qu’ils sont à deux points de monter un syndicat).  Essayons de réparer ça.

P. Djèlí Clark vient justement à ma rescousse avec plusieurs uchronies de fantasy mettant en avant les cultures africaines : Les Tambours du Dieu Noir s’intéressent au folklore afro-américain, et sont suivis d’un autre texte, L’étrange affaire du djinn du Caire, se penchant cette fois sur l’Afrique. Enfin, j’ai pris la liberté d’ajouter à ces deux récits une novella parue à part mais se passant dans le même univers que le précédent texte, et qui aurait eu tout à fait sa place dans le premier bouquin (qu’importe, si ça nous permet d’avoir un autre superbe artwork). Je n’irai pas par quatre chemins : ces textes sont parmi les meilleurs que j’ai lus cette année, et reflètent ce que je tente de plus en plus de transmettre dans les miens : des cités hors du commun grâce à leur caractère cosmopolite, des personnages hauts en couleur, et des messages progressistes qui n’éclipsent pas pour autant l’aspect évasion / divertissement.

Les Tambours du Dieu Noir

tambours-dieu-noir_dos11.inddDans une Amérique où les esclaves noirs ont su prendre le pouvoir de certaines zones des États-Unis suite au soulèvement de Jean-Jacques Dessalines, La Nouvelle-Orléans est devenue une sorte de Babylon 5 terrestre, accueillant des peuples du monde entier dans une égale liberté… y compris les confédérés ennemis. C’est ainsi qu’une gamine des rues, aidée par la déesse de son peuple, découvre que ceux-ci complotent pour reprendre à leur compte une arme de destruction massive dont Dessalines répugnait à user même quand ses armées étaient assiégées : les Tambours du Dieu Noir…

Un très bon texte, rythmé et synthétique. Clark ne fait que féminiser des archétypes déjà bien connus du grand public : le capitaine pirate, le jeune voleur audacieux, l’ange gardien. Qu’importe, l’alchimie fonctionne grâce à la brièveté et la forte dose d’humour et d’effronterie entre les différents personnages. Il en découle une novella haletante et optimiste, dans un cadre mêlant sans doute plus que tout autre les folklores occidentaux et africains.

L’étrange affaire du djinn du Caire

C’est un nouveau héros féminin auquel nous avons affaire, cette fois-ci ouvertement en prise avec les hommes de son pays : Fatma el-Sha’arawi est en effet une jeune égyptienne assumant un look exubérant et un caractère intraitable dans une administration pour le moins conservatrice. Enfin, ça… c’était avant. Avant que Le Caire ne devienne le nouveau centre du monde, grâce à l’alliance entre les djinns et les arabes pour bouter les européens hors de leurs terres. Depuis, l’Égypte est devenue une puissance mondiale attirant à elle les quatre coins de l’Afrique et de l’Orient, mais la vie n’y est pas de tout repos. En effet, la coexistence entre humains et immortels (djinns ou non-djinns) est source d’incompréhensions et de conflictualité. Peut-être après tout les choses auraient-elles été meilleures si le conspué savant Al-Jahiz n’avait pas ouvert une porte entre les mondes des immortels et le nôtre…

C’est alors qu’un des immortels… meurt. Fatma, de service au sein du Ministère de l’alchimie, des enchantements et des entités surnaturelles, mène l’enquête sur ce qui semble une magie très puissante. Elle va être servie. Il s’agit probablement du texte lorgnant le plus sur l’horreur, avec un final ouvertement inspiré de Lovecraft. En quelques dizaines de pages, l’auteur parvient à créer un lore impressionnant, qui part dans toutes sortes de directions, mais sans qu’un seul élément soit superflu : tout retombe sur ses pattes à la fin, ce qui en fait un excellent texte.

Le mystère du tramway hanté

atalante0082-2021Nouvelle enquête au Ministère, cette fois-ci menée par des hommes : Hamed Nasr et son nouvel adjoint Onsi Youssef ont affaire à un tramway flambant neuf, qui semble pourtant abriter une entité démoniaque vieille comme le monde. Ils vont rapidement découvrir qu’ils n’étaient peut-être pas les mieux habilités à le combattre… En tout cas, ils ne s’en sortiront pas seuls. Eh oui, dans ce monde-là, les monstres font plus de dégâts que chez Scooby-Doo.

Encore un excellent texte qui convoque des folklores méconnus (cette fois-ci d’Asie mineure) tout en les remettant au goût du jour : P. Djèlí Clark parvient à insuffler un sens féministe à une légende à la base sexiste, grâce à un magicbuilding astucieux que je vous laisse découvrir. Hamed est un enquêteur relativement classique, mais son adjoint Onsi est un érudit maladroit dont la science s’avère souvent utile, permettant ainsi de dérouler un lore encore plus impressionnant tout en restant digeste, puisque ce procédé permet de nous rendre attachant le personnage. Le seul bémol que je mettrai est que la créature affrontée est au final purement maléfique : dans un récit qui rationalise la magie et s’interroge constamment sur ses enjeux politiques, je pense qu’un peu moins de manichéisme aurait permis à la novella de gagner encore plus en relief. L’auteur garde sans doute ça pour une prochaine fois…

Conclusion

Eh bien, je ne peux que remercier L’Atalante grâce à laquelle j’aurai passé un très bon début de fin d’année. Cet éditeur, décidément très éclectique puisqu’il aura traduit et publié aussi bien des auteurs libertariens que d’autres beaucoup plus progressistes, s’est toujours avant tout soucié de la qualité littéraire de ses récits, et l’on pouvait craindre qu’il ne prenne pas les meilleures décisions pour ce qui est de publier des textes aussi ouvertement engagés. Mais non, il aura fait une nouvelle fois un excellent choix, car Phenderson Djèlí Clark concilie à merveille politique et divertissement, nous prouvant qu’il est parfaitement possible d’héroïser des minorités sans pour autant sombrer dans le pink- / black- / rainbow-washing hypocrite des multinationales d’une pop-culture devenue cynique : les personnages de ses livres sont noirs ou arabes, souvent des femmes, parfois LGBT ou musulmans, dans un cadre para- / extra-occidental, et toutes ces différences, loin de donner à ses textes un aspect plus didactique ou moins universel, servent au contraire à enrichir des récits drôles, haletants et complexes. Je tire mon chapeau bas et ne peux que manifester mon enthousiasme à l’idée de lire la suite de sa production littéraire ; et j’en aurai peut-être bien l’occasion l’année prochaine grâce à la grosse surprise qui arrive en fin de mois sur ce blog. Et puis, après tout, c’est pour ma culture…

Ah oui, trois articles en un, forcément ça va être compliqué pour renvoyer aux critiques des bologopotes…

Pour Les Tambours du Dieu Noir : Apophis, Lutin82, Le chroniqueur, L’ours inculte, Célindanaé, …

Pour L’étrange affaire du djinn du Caire : Apophis, Lutin82, Le chroniqueur, L’ours inculte, Célindanaé, …

Pour Le mystère du tramway hantéApophis, Boudicca, Lutin82, Le chroniqueur, L’ours inculte, Célindanaé, …

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