Allez-y ! Fouettez-moi la plante des pieds avec des orties ! Pendez-moi par les tétons ! Emmenez-moi au festival de l’Alpe d’Huez ! Oui, j’essaye régulièrement d’éviter le sujet sur mon blog, mais aujourd’hui il est temps de le dire ouvertement : Je n’aime pas les mangas. Alors apparemment c’est un sacrilège dans les milieux geeks / nerds, mais l’écrasante majorité d’entre eux (sauf dans le domaine des seinen) me semble ne pas avoir sous le capot grand-chose d’autre à proposer que des bastons (il est vrai souvent fort réussies) et des situations à l’eau de rose en terme de dramaturgie, de finesse des dialogues, de réflexions politiques ou philosophiques, sans compter qu’il faut attendre 50 tomes avant de voir l’évolution d’un personnage. Généralement, je la mets en veilleuse : après tout, en termes de narration, nous en Europe on a eu les premiers Tintin et Spirou, ça non plus c’était pas glorieux. Si je suivais les sagas jusqu’au bout, je finirais sûrement par tomber sur des scénarios plus élaborés. Le côté coloré et cartoonesque des shōnen peut offrir un divertissement réconfortant dans une réalité triste et sans concession, tandis que les shōjo permettent d’explorer les différentes facettes de la psychologie adolescente. Alors je laisse tout ça aux spécialistes, et j’évite de dire de la merde. Sauf lorsque je peux me lâcher sur des bouquins comme celui qu’on m’a offert il y a quelques jours, car là je sais qu’il y a précisément tout ce que je déteste dans les mangas et la fiction en général.

The Rising of the Shield Hero, c’est donc l’histoire de Naofumi, un étudiant un peu otaku (on n’apprendra rien de plus sur sa personnalité avant un bon bout de temps) qui se retrouve un beau jour propulsé dans un univers de med-fan et est aussitôt chargé par le roi local de sauver le monde d’une armée de créatures maléfiques, le tout expédié en quelques pages très aérées. Presque aussitôt, notre héros va se mettre à tout trouver normal et chercher à remporter la mission qu’on lui a confiée. OK, ça vaut mieux que de le voir s’étonner pendant 400 pages sur des trucs déjà-vus mille fois : « Oh mon Dieu, la magie existe, et c’est qui ces gens avec des oreilles pointues, là-bas ? » Sauf que 1/ est-ce que de base c’est vraiment une bonne idée de nous refaire une énième fois un isekai ultra-classique et 2/ est-ce qu’il fallait le priver de psychologie à ce point ? Il n’y a aucun décalage culturel entre le Héros du Bouclier et le monde dans lequel il va découvrir ses pouvoirs, et pour cause : celui-ci n’a pas plus de consistance. Il s’agit d’un énième univers vaguement médiéval / conte-de-fées, dont on n’apprendra strictement rien de ses différentes factions politiques, ses peuples, son Histoire, ses langues, ses spécificités ethniques, bref : tout ce qui donne de la saveur à la fantasy et aux autres récits de voyage. Il y a bien une race moitié humaine moitié raton laveur, mais le peu qu’on en verra nous indique qu’elle ne dépasse pas le stade kawaii. Moi, j’ai envie de dire au livre : « S’il te plaît, gros… Quand tu crées une race imaginaire, assure-toi que c’est pas juste un doublon de l’Humanité. Tu l’hybrides avec des bestioles ? Très bien, fais-moi des créatures hirsutes vivant au fond de la forêt, avec leurs coutumes spécifiques brouillant les frontières entre monde sauvage et civilisation ! Pas juste la famille classique un-papa-une-maman dans une maison proprette ! »

Tout ce que l’œil découvrira dans ces 160 pages paradoxalement très longues va donc être une succession de topoï de la fantasy dressés sans originalité (château, taverne, bas-fonds) avec quelques monstres dont la plupart de ceux dont on verra les combats auront une apparence sommaire facile à dessiner. Le livre semble s’excuser de son propre manque d’innovation : « Pour l’originalité, on repassera… », se dit le héros en lisant le livre de fantasy qui va le propulser (évidemment) dans son monde magique. D’ailleurs, ce manga est adapté d’un light novel : il n’aura même pas inventé sa propre histoire.

Si encore c’était un univers cohérent : les marchés d’esclaves se font sous le manteau mais semblent parfaitement autorisés sans qu’on ne nous donne le moindre début d’explication. Et qu’importe qu’on y accède par un livre, l’univers obéit ouvertement aux mêmes codes que les MMORPG, avec des niveaux à passer et des fenêtres qui s’affichent juste devant les héros afin de leur indiquer toutes les informations dont ils ont besoin (bah oui, ce serait trop bête d’avoir à écrire des dialogues). Sans compter que les autres héros que Naofumi, eux, disent être arrivés dans ce monde suite à leur mort dans notre univers à nous, ce qui jusqu’à preuve du contraire indique que le récit n’arrive même pas à obéir à ses propres règles.

Revenons à notre Héros du Bouclier : il est le plus faible de son équipe censée sauver le monde, ne pouvant utiliser qu’une arme de défense plutôt que d’attaque, en vertu du fameux ta-gueule-c’est-magique, qui légitime également pourquoi le royaume entier va décider d’obéir à une prophétie lui demandant de mettre à la tête de ses armées quatre illustres inconnus sans qu’il n’y ait une seule faction qui ne veuille installer à la place un chef militaire compétent. Naofumi, blessé dans son amour-propre, va heureusement se trouver une compagne de route dans une séduisante jeune fille qui va le détrousser et, pour qu’il ne puisse pas porter plainte, l’accuser devant toute la cour… de viol.

Oh, putain.

Bon, je sais qu’il faut replacer les œuvres dans leur contexte. La date de parution initiale est 2014, soit 3 ans avant l’explosion du mouvement MeToo, mais quand même, des féministes étaient déjà passées par là pour déblayer un peu le terrain. Vous trouvez quand même pas ça un peu cringe que les persos féminins intelligents soient toujours fourbes et se mettent à diffamer le héros (naturellement innocent dans l’histoire) d’un truc qui se révèle quasi-toujours fondé dans la vraie vie ? Me faites pas dire ce que j’ai pas dit, j’adore les personnages de femme fatale donnant des coups de boule pas possibles aux hommes un peu trop sûrs de leur supériorité masculine, mais justement : quand c’est bien fait, ça nous montre un perso rusé et fort qui ne se victimise jamais et s’émancipe de lui-même de sa condition discriminée. Ça ne recycle pas les pires clichés sexistes.

Et tant qu’on en est à parler des filles, Naofumi ne digère pas du tout cette trahison, il est temps pour lui de griller toutes les étapes du passage de la naïveté au cynisme et de devenir Dark Naofumi. Il va donc s’acheter une esclave sans considération éthique, alors qu’il vient quand même d’une société où l’esclavage est censé être aboli — même si, reconnaissons-le, les conditions de travail au Japon ne sont pas des plus glorieuses. C’est donc envers Raphtalia, une ratonne-laveuse hypersexualisée et polytraumatisée, qu’il va pouvoir désormais excercer son identité de mâle-alpha-rétabli-dans-sa-virilité-toujours-sûr-de-lui-dur-et-ferme-comme-ma-bite. Et là, on tombe dans le syndrome des elfes de maison : apparemment, c’est pas trop grave de posséder un esclave, du moment qu’on est un bon maître. Naofumi et Raphtalia commencent donc à se battre ensemble, s’améliorent et commencent à éprouver des sentiments respectifs. Suite au prochain épisode, qu’on ne lira certainement pas.

Bien sûr qu’il est possible de créer une bonne histoire à partir d’un univers juste composé de quelques archétypes : Lapinot et les carottes de Patagonie en est un bon exemple. Mais Lewis Trondheim ne se contente pas d’appliquer à la lettre la recette de ce qui marche dans un genre en particulier : il va piocher dans tous les râteliers, pastiche, parodie, subvertit, et il en ressort un parcours « dés-initiatique » où le perso poursuit le même objectif de la première à la dernière case, mais devient de plus en plus en proie au doute sur ses quelques convictions. La question à se poser n’est pas tant l’originalité dans les idées qu’on a que de savoir si on va leur donner un traitement personnel. Or, ici, on a ce qui se fait de plus générique en fantasy, amené sans le moindre effet de style ni autre objectif que de satisfaire un public purement consommateur. J’en veux pour preuve que les persos disent qu’ils ont été transportés dans un univers d’HEROIC fantasy alors qu’ils sont dans un univers de HIGH : The Rising of the Shield Hero a de toute évidence été conçu par une direction marketing qui n’avait qu’une idée très vague du genre qu’elle abordait. Ce livre n’est pas un produit culturel. C’est un bidon de lessive.

Alors je vais pas noircir le tableau pour autant, il y a quand même quelques bonnes idées qui se dégagent. Tout d’abord, l’idée de suivre un héros supposé plus faible et moins utile que les autres, qui possède un gros handicap dans le combat et va donc devoir apprivoiser des bestioles et se trouver une partenaire pour qu’elles fassent une partie de la bagarre à sa place : c’est une contrainte bien exploitée, donc source de combats un minimum ludiques. Ensuite, l’idée de forcer une gamine hypersensible à tuer toutes sortes de monstres répugnants, même si je me doute que ça a déjà été fait ailleurs, a du potentiel aussi bien pour montrer une descente aux enfers qu’une éventuelle résilience ; et si c’est fait avec un partenaire distant et insensible, alors tant mieux. J’aurais juste aimé que le récit fasse preuve d’un peu plus de recul critique sur cette relation homme-femme quand même assez classique et toxique à la fois. Enfin, l’idée que les Quatre Héros chargés de sauver le monde puissent être remplacés par d’autres une fois qu’ils sont tués aurait eu du potentiel dans un univers de dark fantasy : je vois bien un monarque machiavélique trucider toutes les équipes venant à lui chaque fois qu’elles lui semblent un peu trop faiblardes. Le concept des héros jetables a encore de beaux jours devant lui.

Le tome 1 de The Rising of the Shield Hero est donc ce qu’on pourrait appeler un échec critique : je ne m’intéresse que très peu aux shônen dont j’essaie de ne rattraper que les grandes références (Naruto, One Piece, Dragon Ball), et cette lecture semble me confirmer dans mes intuitions. Je m’étais presque réconcilié avec le manga grâce à des chefs-d’œuvres arty comme Planètes ou Le Sommet des Dieux ; cet ouvrage aura au moins eu le mérite de me montrer qu’il me reste encore du chemin à parcourir avant d’avoir une vraie geekophilie. Bon, va bien falloir s’y coller, après tout c’est pour ma culture…

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