C’est le retour des mini-critiques torchées à la va-vite comme une grosse feignasse. Et l’une d’elles a en plus déjà été publiée, regardez-moi ce blog de gauchiste. Mais mais mais, vous n’êtes pas à l’abri de tomber sur une pépite ou deux. En effet, cet article a été rédigé sur tout le long de l’année 2023, où j’ai fait plusieurs surprises extrêmement agréables et… déroutantes. On y trouvera aussi un gros flop de l’année, à éviter à tout prix !

Patrick Ness — Et plus encore

et-plus-encore-patrick-nessCette chronique-là était parue initialement dans l’article TUGPÉUA #HS2 : 5 ovnis de la SF. Le roman reconfigure en effet de manière assez originale différents éléments déjà trouvables dans d’autres œuvres de SF ; mais de là à parler d’un ovni, il y a un écart qui n’a fait que s’agrandir dans ma tête à mesure des années. J’ai donc préféré le remplacer par une mini-critique exclusive de Tremen, que je vous invite à découvrir de ce pas, ce qui permettra de redonner un peu de lisibilité à un vieil article qui vaut selon moi le détour (mais bon, pas autant que le premier).

Patrick Ness est sans doute le meilleur auteur de romans pour adolescents actuel. Mais en-dehors de son exceptionnel stand-alone Quelques minutes après minuit et de sa bonne (mais interminable) trilogie Le Chaos en marche, on oublie souvent qu’il a également sorti Et plus encore, roman où un garçon se noie et revient à la vie dans une ville déserte. Je m’attendais à une sorte de non-lieu métaphysique, mais l’histoire prend un tournant science-fictif, avec, disons en tentant de ne pas spoiler, un gros point commun avec la saga Matrix. Sauf qu’Et plus encore ne s’encombre pas des réflexions platoniciennes du premier volet et en engage directement une existentialiste : sommes-nous libres au point de renier notre liberté ? Jusqu’où irions-nous pour refuser une situation à laquelle nous sommes confrontés ?

Le rythme est bon, les retournements de situation nombreux mais crédibles, et l’auteur nous épargne le sempiternel survival ado post-apo où le but n’est pas la menace mais une romance ou du gnangnan du même genre, le héros étant seul une bonne partie du bouquin, puis rejoint seulement par deux personnages pour le moins singuliers. Les raisonnements sont étonnamment profonds et pertinents pour du Young Adult, bref on se laisse prendre au jeu… au point d’oublier que l’un des éléments les plus importants du roman n’est expliqué que brièvement par une hypothèse. Bref, à peu de choses près un excellent ouvrage.

Yann Legendre — Flesh Empire

bab4d717ab29787989225d870fe24985Dans la cité transhumaniste d’un monde lointain, les habitants ont oublié toute forme de vie organique s’ils en ont jamais eu. Mais quand le disque dur contenant toutes leurs consciences commence à saturer, ils décident de les transplanter dans des corps biologiques, et éprouvent une véritable fascination pour leur nouvelle enveloppe. Hélas, l’histoire de Yann Legendre ne brille du reste pas pour son originalité : les personnages sont froids et inexistants, la fin est prévisible, et ce qui semblait prime abord une épopée cyberpunk s’avère au final totalement dépolitisé.

Mais son univers graphique en revanche reste fascinant de détail et de complexité : les motifs abstraits se mélangent à des décors futuristes pleins de clair-obscur, auxquels vient seulement se mêler la couleur pâle de la chair (pourquoi toujours rose, d’ailleurs ? pourquoi pas noire ou brune ?). Le travail graphique est d’autant plus impressionnant quand il est savouré devant un bon disque, comme celui d’ambient expérimentale qui a été conçu en parallèle du livre et porte son titre. On délaisse la réflexion et la science pour du spectaculaire, mais ce spectaculaire est unique en son genre : Flesh Empire est un roman graphique incarnant pour moi tous les défauts de la SF à la Métal hurlant, mais aussi toutes ses qualités.

Soi Cheang — Limbo [Mention Vu & approuvé]

J'allais quand même pas mettre ça en 200 mm ?!
J’allais quand même pas mettre ça en 200 mm ?!

Un tueur hante les rues de Hong-Kong, mutilant puis tuant les femmes rejetées par la société. Deux flics sont sur le coup, un petit nouveau très sérieux et bien sûr déconnecté du terrain ; un autre vieux, agressif et violent, qui a notamment une dent contre une jeune femme ayant accidentellement tué son épouse. Celle-ci tente de se racheter en les aidant à trouver des malfrats, mais c’est le début pour elle d’une descente aux enfers qui va l’amener dans les recoins les plus noirs de la psychologie humaine…

Je vais être honnête avec sur Limbo. C’est sans doute avec Mad God le film le plus violent que j’aurai vu cette année. Crade, nerveux, viscéral, il nous entraîne dans des bas quartiers de plus en plus sordides et baroques où les gangs sont omniprésents et la police guère plus reluisante, quand on ne croise pas des monstres pires encore. On peut se demander si un tel niveau de violence était justifié, au moins pour une scène de viol qui s’éternise. Et si, face à un déferlement de violence essentiellement virile, il n’aurait pas été judicieux que l’héroïne, sans cesse faible et repentante face à un flic violent et dominateur, ne soit pas le seul personnage féminin de l’histoire mais qu’apparaisse aussi à un moment un autre plus critique. Du côté des regrets également, le méchant est un énième psychopathe : rappelons que ces gens-là souffrent bien plus souvent qu’ils ne font souffrir. Ce n’est pas problématique en soi quand c’est juste dans un film, mais ça devient un peu plus gênant quand les malades mentaux sont systématiquement cantonnés dans le cinéma populaire soit au rôle du tueur sans limite, soit à celui de Bozo le clown.

Ceci étant dit… Bah, je serais bien en mal de bouder mon plaisir. Le centre du film est bien plus profond, une fable sur le pardon où un homme brutal va finir par comprendre le mal qu’il cause et où une femme rongée par la culpabilité va enfin s’en retrouver délivrée après une spirale de souffrance en tuant littéralement ce qu’elle doit dépasser. Comme le dit en substance Yannick Dahan, avant d’être un polar noir, un film d’action ou un thriller, Limbo est un drame, d’autant plus puissant par le fait que la radicalité des émotions qu’il déclenche est retranscrite à l’image par cet univers sombre et glauque. Comme dans Mad God, les êtres humains s’entretuent dans un monde croulant, déserté par la dignité depuis bien longtemps ; mais contrairement au film de Tipett, il existe des moyens de se reconnecter à notre humanité. Tout comme la direction photo qui sublime la laideur en beauté, Soi Cheang va au plus profond de l’horreur tapie dans chaque esprit pour en faire ressortir ce qu’il y a de plus beau. Et nous rappeler pourquoi il est si merveilleux d’être en vie.

Dakh Daughters : Mini-rétrospective [Mention Écouté et approuvé]

Elles sont sept, elles sont queers et elles sont ukrainiennes. La vie des Dakh Daughters est probablement aussi joyeuse que leur musique. Mais elle est probablement toute aussi rythmée, trépidante et réussie. Ces chanteuses et musiciennes de dark cabaret nous ont d’ores et déjà livré trois disques impressionnants de qualité : IF, oscillant entre instruments stridents et incantations en transe ; Air, curieux car beaucoup plus atmosphérique pour un genre s’y prêtant peu ; Make Up enfin qui annonce un retour en fanfare aux fondamentaux. Cette musique expérimentale, récitée aussi bien en anglais qu’en français qu’en ukrainien, semble moins issue d’un tripot du XIXe siècle dont elle reprend pourtant l’esthétique grotesque, que des racines profondes et ancestrales d’un pays tourmenté. Elle n’est pas toujours accessible, ni non plus agréable ; mais leur travail est fascinant tant il est hanté par la guerre, la colère, la mélancolie, et sans doute un désir de transcendance. Il n’en fallait pas plus pour charmer le gros métallo que je suis.

Arthur Conan Doyle — Le monde perdu

LMNDPRDSXQ1997George Edward Challenger est un vieux connard. Scientifique reclus, misanthrope et machiste, grossier et plus habitué à assommer ses confrères qu’à les contredire, il tient moins du savant fou que du gorille en rut.

Seulement, comme le stipule la première loi de Clarke, « Quand un savant reconnu mais vieillissant estime que quelque chose est possible, il a presque certainement raison ». Et Challenger est persuadé qu’il existe un endroit de l’Amazonie où les dinosaures ont survécu. Sans plus attendre, il part en expédition avec un jeune journaliste benêt et une bande de scientifiques au langage truculent. L’univers qu’ils découvrent est baroque, riche en surprises, et très crédible scientifiquement pour l’époque.

Le monde perdu est un pionnier de la SF « à dinosaures », tout comme dans une moindre mesure Voyage au centre de la terre avant lui. Ici cependant, les explications scientifiques laissent plus souvent place à l’humour, ce qui le rend plus facile à lire… Et encore heureux. Car Le monde perdu, c’est aussi un festival de clichés racistes, où les femmes n’existent pour ainsi dire pas non plus. Les non-blancs de l’équipe sont de simples guides et serviteurs, ou bien humbles et serviables, ou bien fourbes et mauvais comme la gale. Pas la moindre amitié ne se crée pour ces chairs à canon bien pratiques, juste un peu de condescendance affectueuse pour le noir Zambo.

On pourrait excuser le roman, se dire que c’est l’époque qui veut ça. Mais plus le récit avance, et plus de manière générale le rapport à l’altérité devient problématique : on découvre des hommes préhistoriques stupides et barbares, qu’on se fait une joie de karchériser à l’artillerie lourde, et les dinosaures sont systématiquement pointés du doigt comme démoniaques et monstrueux. En naïf adulescent efféminé du lointain XXIe siècle, je m’interroge sérieusement : Comment a-t-on pu aimer ce genre d’histoires ? Si le monde extra-occidental leur paraissait si horrible, pourquoi donc le rêver ? Le but du voyage n’est-il pas justement de s’ouvrir au monde, de s’émerveiller devant la différence ?

Le monde perdu est le produit d’une Angleterre impérialiste et coloniale, une époque que l’on espère pour toujours révolue (encore que, quand on voit certains partis…). Les uns parviendront à le lire pour l’intérêt historique. Les autres lui préféreront le déjà beaucoup moins problématique Rosny aîné pour enrichir leur culture…

Un commentaire sur « TUGPÉUA #33 »

Laisser un commentaire