La fin de l’année arrive, et c’est généralement à cette époque de l’année que je me rends compte que je n’ai rien foutu pendant onze mois et qu’il va me falloir me poutrer des bouchées doubles pour sortir à temps tous les articles prévus. À commencer par les mehs, ces œuvres qui ne méritent ni de figurer dans les tops ni dans les flops de fin d’année, mais qui restent suffisamment intéressantes pour être chroniquées sur le blog. Bon, ben… Essayons de faire ça en moins de 500 mots.

Guilhem & Marzano — Les trois fantômes de Tesla : Mini-rétrospective

La Seconde guerre mondiale bat son plein. Aux US, le jeune Travis découvre un mystérieux savant fou qui travaille en cachette, de peur qu’un autre savant fou ne les lui vole pour collaborer avec les nazis. Le premier s’appelle Nikola Tesla, le deuxième Thomas Edison. Rien de bien surprenant jusqu’ici, me direz-vous.

Et effectivement, je n’attendais rien de cette trilogie en l’empruntant à la bibliothèque, à part creuser un peu plus en profondeur la découverte de ce sous-genre nouveau et déjà si balisé qu’est le teslapunk. Sauf que… L’esthétique tire aussi sur le decopunk, donnant lieu à de superbes graphismes. Sauf que… Nous avons là un hommage assez ambitieux à une époque qui croyait au progrès même au cœur de la tourmente, invoquant des figures célèbres comme Orwell aussi bien que d’autres oubliées sous nos latitudes comme Jagadish Chandra Bose. Et sauf que… L’histoire se passe dans les milieux ouvriers et montre les petites mains d’habitude écartées au profit des grosses poches au pays de l’oncle Sam ; on croisera même la route du méconnu mais bien réel parti communiste des États-Unis.

Qu’est-ce qui a fait que je n’ai pas accroché, alors ? Eh bien, tout simplement parce que l’hommage au roman-feuilleton omniprésent dans le rétrofuturisme bouffe ici tout suspens : la moindre situation est ou bien prévisible, ou bien improbable, ou bien offre une sensation de déjà-vu. Quand on voit les personnages historiques au casting, on se dit qu’on pourrait remplir facilement dix tomes, mais on reste sur quelque chose en surface. Enfin, la thématique sociale ne rejoint véritablement l’intrigue que dans le dernier tome, le seul où j’aurai vraiment accueilli l’histoire avec mon cœur et mes tripes. Les trois fantômes de Tesla n’est pas une mauvaise BD, loin de là ; mais son potentiel indique qu’elle aurait pu être infiniment meilleure.

Jack London — Le Talon de Fer

libertalia-letalondeferpoche-couv_web_rvbEt pour rester sur les cocos étasuniens, que diriez-vous de redécouvrir l’œuvre de Jack London ? En effet, on se souvient de lui comme d’un auteur de romans d’aventures, on se rappelle aussi éventuellement son grand récit social Martin Eden ; ce qu’on sait moins, c’est qu’il était aussi un auteur très très très à gauche et le premier à imaginer une dystopie.

Au XXVIIIe siècle, une utopie internationale s’est construite, la Fraternité de l’Homme. Mais avant sa construction ont précédé des siècles de violence et de totalitarisme : le régime du Talon de Fer. Se penchant sur sa genèse, des universitaires exhument ainsi un manuscrit racontant ses débuts, qu’essaye d’enrayer le philosophe socialiste Ernest Everhard…

D’emblée, nous avons un objet littéraire très innovant : le récit nous est présenté comme un document historique, le présent de l’auteur se faisant annoter par les chercheurs du futur dont on devine en creux une culture bien différente. Plus encore, en 1906 seulement, London prédit le totalitarisme, le maintien des privilèges d’une classe dominante grâce au fascisme, le capitalisme se dirigeant vers toujours plus de monopole, la société de consommation chargée d’endormir un prolétariat trop excité. Utopie, dystopie, anticipation, faux document scientifique et critique philosophique et sociale se mêlent donc dans ce roman particulièrement ambitieux.

Seulement voilà, les grands esprits des sciences humaines étant eux-même prisonniers des déterminismes de leur époque, Jack London est avant tout un énorme brocialiste : son seul personnage féminin sert simplement de réceptacle aux préceptes dispensés par celui principal. Les autres n’ont d’ailleurs pas une psychologie bien plus élaborée, le livre reprenant tous les défauts d’un roman de hard-SF où des monologues d’exposition interminables arrivent en permanence au détriment d’un récit rythmé. L’action ne commence vraiment qu’à la moitié du livre, et ne se presse vraiment que dans les tout derniers chapitres. Cela n’empêchera pas l’ouvrage d’avoir une certaine postérité, Trotski le citant comme le seul roman qu’il aimait. Pour ma part, je trouve que c’est un bouquin à la fois génial, visionnaire et terriblement chiant.

Jed MacKay & Ig Guara — Magic : The Gathering, tome 1

Magic-The-GatheringAlors essayons de faire un peu pencher la balance avec une fiction turbo-capitaliste. Les grands patrons de la Nouvelle-Ravnica réussiront-ils à mieux me captiver avec leur enquête autour de mystérieux assassins préparant la venue d’un dieu des ténèbres ? Pas mieux.

J’avais chanté les louanges de Magic : The Gathering cet été, considérant que cet univers était visuellement le plus riche qu’il m’ait jamais été donné de voir ; force est de constater que les scénarios se déroulant dans cet univers ne sont pas à la hauteur. Balançant des vannes à tout-va même dans les scènes d’action se voulant dramatiques, ce premier comic (c’est le cas de le dire) multiplie les péripéties sans jamais prendre le temps de s’attarder sur son intrigue, ses conséquences, ses causes ou bien ses personnages. Il faut dégommer de l’ennemi à toute berzingue, et tant pis s’il faut concocter pour ça un scénario pseudo-intello à base d’une secte de gentils qui sont en fait des méchants mais faut surtout pas l’dire. Qui est-ce qu’on trouve au scénario ? Bingo, deux étalons des écuries Marvel.

Et ça explique sans doute le plus gros défaut de l’œuvre : ce comic Magic est l’antithèse d’Arcane. La meilleure série française / de fantasy / de steam-clock-c’est-la-lutte-finale-punk de tous les temps (barrez les deux mentions qui vous font le moins kiffer) a lieu dans l’univers de League of Legends, mais même un néophyte comme moi comprend aisément tout ce qui s’y passe : parce qu’on prend des libertés avec le média d’origine pour pouvoir développer des héros intéressants et bien caractérisés, tout en conservant la substantifique moelle qui plaisait tant aux fans, à savoir une action effrénée. Ici, on fait comme si tout le monde connaissait déjà les personnages ; on apprend juste quelques bribes de leur passé entre deux tapages de gueule.

C’est tellement crétin que dès les premières pages, ils cousent les yeux d’une personne afin qu’elle ne puisse pas se faire pétrifier par une gorgone. OK, normalement, c’est l’inverse, mais pourquoi pas… Sauf que la personne en question est un assassin en pleine mission ! (Et il n’y a même pas de justification de comment il fait pour se battre quand même du genre « ta gueule, c’est magique ».) Alors, certes visuellement, c’est magnifique ; mais au niveau du scénario, c’est sans doute le livre le plus con que j’aurais lu cette année.

Jeff Lemire & Dustin Nguyen — Ascender, tome 1 : La galaxie hantée

La_Galaxie_hantee_Ascender_tome_1Parlons aussi d’un autre comic qui m’avait l’air très sympathique. Ascender est la suite de Descender, mais pouvant se lire indépendamment. On y découvre une galaxie dominée par une sorcière ayant prohibé tout usage de technologie avancée, tandis que le héros de la saga d’origine et sa fille tentent de vivre à l’écart de la société. Évidemment, ça ne va pas durer longtemps.

Si vous me connaissez un minimum, vous savez que je suis à la fois un grand bourrin et un grand sensible : les histoires de père faisant tout pour protéger son enfant, ça m’excite toujours (sauf The Last of Us, les zombies m’intéressant assez peu, et le peu qu’on m’a dit sur le scénario n’est vraiment pas pour me rassurer). On pourrait même avoir un récit particulièrement sensible avec ce très beau dessin tout en aquarelles dévoilant un univers plein de poésie. Las ! C’est une fois de plus le scénario qui pèche, car on se retrouve face à un Star Wars bis en total décalage avec le trait doux et rêveur qui laissait prévoir un récit beaucoup plus intime. Il y a quand même une ou deux trouvailles horrifiques intéressantes… dont une qui l’est tellement qu’elle sert à la fois à illustrer la couverture d’un épisode et celle du tome 2. Pas sûr que je le lise un jour, sauf si l’on m’en fait l’éloge. Je ne peux que malgré tout vous encourager à jeter un coup d’œil au 1…

BéKa & David Etien — Champignac, tome 1 : Enigma

9782800174785-couv-M800x1600Terminons enfin avec un nouveau spin-off du Spirouverse, cette fois axé autour du comte de Champignac : saviez-vous que dans sa jeunesse (enfin, quand il était un peu moins vieux), Pacôme Hégésippe Adélard Ladislas aidait les Alliés à vaincre les nazis, notamment en collaborant avec Alan Turing pour décrypter Enigma ? C’est donc parti pour une folle aventure en Angleterre, où notre héros et la charmante Miss MacKenzie vont faire rien de moins que contribuer aux débuts de l’informatique. (Il a encore la trentaine alors que dans une dizaine d’années il va rencontrer Spirou et qu’il en aura 70, tellement zéro cohérence dans l’univers de m’sieur Dupuis…)

Seulement cette BD tombe dans tous les pièges qu’on pouvait lui tendre. Celui inhérent à la vulgarisation historique et scientifique, pour commencer : de longues pages d’explications ou de dialogues qui font que l’action arrive vraiment sur le tard. Que c’est long à se mettre en place ! Dans un Spirou, quels que soient les auteurs, on a un certain nombre d’attentes : des situations rocambolesques, de l’humour, de l’action (quitte à donner dans le cartoon le plus décomplexé). Ici, toutes ces choses n’arrivent que par à-coups. Il y a tellement d’éléments à prendre en compte que le récit s’avère totalement linéaire, les personnages n’éprouvant aucune conflictualité entre eux, à l’exception de celui restant dans l’ombre qu’on devine être un méchant de réserve. Prenons les habitants de Champignac : étant toujours les objets d’une critique acerbe de la petite-bourgeoisie campagnarde, on s’attendrait à ce qu’ils soient attentistes, au moins dans un premier temps. Que dalle, ils sont tout de suite résistants, et même pas bras cassés ! Un autre dessinateur comme Émile Bravo y aurait vu un filon à ne pas manquer.

Deuxième piège : celui de la préquelle. Est-ce qu’on a vraiment besoin de savoir comment Pacôme a découvert son gaz soporifique, ou bien appris certains de ses jurons ? Non, inutile de lever le voile sur des questions qu’on ne s’est jamais posées : le fait qu’il y ait des choses dans un univers dont on ne sait pas d’où elles viennent lui confère beaucoup plus d’épaisseur qu’une explication mécaniste de ses moindres aspects.

La balkanisation du Spirouverse avait permis jusqu’ici de l’ouvrir à une multitude de sensibilités différentes. Mais ici, en-dehors de quelques détails féministes autour de Miss MacKenzie, on reste sur une œuvre d’arrière-garde. Je vous conseille malgré tout ce premier tome si vous vous intéressez à la vie d’Alan Turing, ça pourrait vous faire un plus pour votre culture…

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