Livre lu pour le challenge Évasion 2021 (4/5)

Andreas Eschbach est un des rares auteurs de SF allemand (voire de SFFF) à enchaîner les best-sellers. Son œuvre ayant principalement contribué à sa renommée est aussi curieusement sa plus singulière, un space opera aux allures de med-fan voire de conte cachant un récit philosophique quasi-nihiliste. C’est donc vers des abîmes d’exotisme mais aussi d’effroi que nous nous embarquons ce soir.

Dans un futur extrêmement lointain, différentes planètes à la périphérie d’un Empire galactique sont sélectionnées pour tisser des tapis avec des cheveux de femmes. Une pratique curieuse et d’autant plus incompréhensible qu’au fil des dizaines de millénaires personne n’ait jamais dit aux gens d’arrêter. Pourquoi une production aussi colossale ? Est-ce vraiment pour servir dignement l’empereur-dieu ? À quoi lui sert-il d’emmagasiner autant d’accessoires de décoration ? D’autant plus que le bruit commence à courir que l’Empire s’est effondré tandis que les tisseurs continuent imperturbablement leur tâche…

Derrière cette pratique mystérieuse se cache une interrogation métaphysique mine de rien profonde. Pourquoi continuer de suivre une tradition ? Jusqu’où pouvons-nous aller pour se montrer digne de nos ancêtres, quitte à y perdre notre humanité ? Que savons-nous vraiment du devoir sacré que nous pensons accomplir quand nous nous soumettons à un héritage millénaire ? La chute arrive, cruelle, mais se fait rattraper malgré tout par un épilogue porteur d’espoir.

Le tout est desservi par un worldbuilding surprenant mais cohérent. La planète sur laquelle nous passons près de la moitié du récit étant quasi-déconnectée du reste de l’Empire, elle a régressé à un stade de technologie presque médiéval (çà et là, quelques nantis peuvent se vanter de détenir encore un équivalent des objets du XXe siècle). Afin de ne pas perdre l’excellence requise pour un art nécessitant autant de patience (essayez de faire des nœuds à vos cheveux tombés, je peux vous dire que ça vous occupe pendant les repas de famille), le métier s’exerçant de père en fils exige de n’avoir qu’un enfant masculin, les surplus étant… évacués de manière assez radicale. Ce qui engendre logiquement une forte disproportion démographique hommes / femmes, autorisant ainsi la polygamie (c’est ainsi sur leurs différentes épouses que les tisseurs vont prélever leurs cheveux).

Mais là où le roman tient son coup de génie, c’est qu’il est construit à la manière des tapis dont il parle : un enchevêtrement de nouvelles, reliées entre elles par une trame commune. Non seulement c’est raccord avec l’objet principal du récit, mais surtout on a là une utilisation intelligente du format fix-up, habituellement utilisé par défaut pour empiler différentes nouvelles ayant un rapport entre elles et gagner un peu plus de succès en les vendant comme un roman.

Cependant, ce qui fait la force de l’histoire cause aussi sa faiblesse. L’exercice du fix-up est compliqué, même lorsqu’il est voulu, et pour garder sa cohérence, l’auteur est parfois obligé de faire se terminer des nouvelles-chapitres sans l’ombre d’une chute, voire en frisant la queue de poisson. Certains éléments restent dans le mystère malgré la résolution des questions les plus importantes. Le fil rouge semble se perdre par instant, empêchant de s’amuser pleinement à restituer les différentes pièces du puzzle. Enfin, la plume, sans être catastrophique, pourra laisser sur leur faim les plus blancheux d’entre vous. Je ne suis pas un grand expert en stylistique (j’ai considéré que Baxter avait une plume correcte jusqu’à ce que je tombe sur Singularité), mais ce sont de petites intuitions (un nombre relativement élevé de points d’exclamations, un saut de paragraphe peut-être superflu, des figures ou des phrases convenues) qui ont fait que durant au moins le premier tiers du livre je n’ai pas accroché au style d’Andreas Eschbach.

Des milliards de tapis de cheveux est donc un très bon livre, même si je n’irai pas jusqu’à dire qu’il est excellent. Il s’agit d’une curiosité d’autant plus grande que si les français connaissent bien leur Imaginaire et celui anglo-saxon, ils ne connaissent presque rien de celui du reste du monde. Et mon petit doigt me dit que ça fait une belle jambe à leur culture…

On laisse pousser ses poils aussi chez : Célindanaé, Dyonisos, …

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