Livre lu pour le challenge de Ma Lecturothèque (3/48)

Dune, c’est un pavé que vous connaissez tous, que vous avez adoré ou détesté mais que vous ne pouvez pas vraiment critiquer parce que c’est ZE référence intergalactique du space/planet opera. Dune, c’est un de ces livres réputés inadaptables qui se sont faits adapter une bonne pelletée de fois, même s’il faut dire qu’à chaque coup on aurait aimé mieux. Dune, c’est le prochain film de Denis Villeneuve, et toujours pas un trailer survitaminé trahissant toute la vision de ce réalisateur, c’est vraiment étonnant pour la saison. Dune, c’est un cycle de Frank Herbert, et surtout son premier tome, le Star Wars pour adultes et le cauchemar de Marine Le Pen, l’alpha et l’oméga de la soft-SF, le caviar que tu dois au moins t’appeler Greg Egan pour le bouder.

Et fatalement, Dune, c’est une guerre des fans entre ceux qui aiment juste le cycle, voire et encore, juste les premiers tomes (qu’est-ce que vous voulez ? C’est presque aussi divisé que pour la saga Alien), et ceux qui vénèrent la moindre bribe des prélogies, suites et spin-offs qu’ont rajoutées son fiston Brian et Kevin J. Anderson. On s’engueule sur les incohérences, on se bouffe le nez sur les fins bâclées, on sort l’artillerie lourde lorsqu’il est question du style et de l’originalité. Et moi, je dis : Relax, les gars ! Herbert aussi, il en a fait, un prélude à Dune !

Alors forcément, ça doit être un truc sur lequel tout le monde devrait se dire que ça arrive au moins à la cheville. Pocket l’a bien compris, traduit ce God Makers sous le nom Et l’homme créa un dieu et je tombe dessus au détour d’une librairie de Clermont-Ferrand dont le rayon SFFF est sur le point de se faire bouffer par celui littérature-de-ménagère-de-moins-de-50-ans. Quelques mois plus tard, je l’ouvre et quelle n’est pas ma surprise que c’est au tour du célèbre éditeur de poche de laisser partir ses correcteurs aux Bahamas. Autant pour le tome 1 du cycle principal, je l’avais défendu sur Babelio en disant qu’il n’y avait pas tant de coquilles que ça, autant là je connais des gens qui feraient mieux la relecture en jouant à Fortnite :

  • p 13 : manque un alinéa
  • p 18 : manque une majuscule
  • p 37 : supersticieux => superstitieux
  • p 38 : rires pour de bon => rire
  • p 60 : attérrit => atterrit
  • p 72 : Tahub au lieu de Tanub
  • p 74 : 2 paragraphes qui apparaissent 2x de suite
  • p 99 : des brides de message => des bribes
  • pp 102 & 103 : point au lieu de point d’interrogation (et le « Et bien » qui va avec)
  • pp 108, 109 & 169 : guillemets à l’envers
  • p 130 : saut à la ligne sans raison (et sans alinéa, en plus) + point d’interrogation au lieu d’exclamation
  • pp 136 & 186 : léthale => létale
  • p 146 : des graffiti => graffitis
  • pp 150 & 152 : manque un double tiret
  • p 152 : Œecuménique => Œcuménique
  • pp 166 & 242 : supersticieuse => superstitieuse
  • pp 183 & 215 : Etre => Être
  • pp 198 & 225 : espace avant virgule
  • p 226 : manque 1 point
  • p 231 : implaquables => implacables
  • pp 232 & 234 : Etes => Êtes

Et puis c’est mal imprimé, il y a des lignes aplaties et des morceaux de lettres qui n’apparaissent pas, ou du moins sur la bonne page, voire le bon chapitre, un glossaire faut pas rêver, la police est toute petite… Je n’ai pas de mal avec ça, sauf que pour Dune elle était énorme et je déteste cette technique putassière de mettre des gros caractères histoire d’avoir un tome plus volumineux et de laisser tomber ça dans les autres parce qu’on sait qu’ils vont pas marcher. D’accord, raisonnons en purs termes de fric, ce livre va moins rapporter, du coup on use moins de papier. Mais alors, pourquoi ces retraits énormes pour les citations qui du coup occupent parfois deux pages ?! Wat da phoque, les amis !

Mais bon, l’édition est un peu loupée mais elle est honnête, hein ? Commençons la lecture d’un pas enjoué ! Tiens, c’est marrant, je savais pas qu’il y avait des extraterrestres humanoïdes, dans l’univers étendu de Dune… Et ça me dérange absolument pas que l’histoire ait aucun rapport avec les Atréides ou Arrakis, mais quand même, je vois pas où placer ce truc dans la chronologie de l’Empire… Et pis on cause jamais Épice alors qu’on a des voyages interstellaires toutes les cinq minutes… Attendez, me dites pas que c’est une suite à la Karim Debbache ?

L’explication du professeur Bulot : Par « suite à la Karim Debbache », le Scribouillard fait allusion à la chronique de ce youtubeur sur Troll 2. Il s’agit d’une pratique répandue dans le cinéma bis consistant à faire des suites n’ayant aucun lien avec le volet d’origine, voire ne se déroulant pas dans le même univers. Du genre tu appelles ton film Alien vs Predator 3 et à la place tu mets Kermit la Grenouille. Attendez une seconde…

*regarde son historique : La chanson des licornes remix acidcore, Nyan Cat danse la tektonikGaspar & Balthazar contre Rocco Siffredi*

Oui, c’est bien ce qu’il me semblait. On est sur C’est pour ma culture, pas sur le Joueur du Grenier.

Bon, l’édition est minable, l’histoire n’a rien à voir avec Dune, mais elle reprend peut-être les mêmes thèmes, non ? Et elle fait aussi peut-être du bon boulot ? Et Dieu merci, la réponse est oui, indubitablement oui.

Dans un futur lointain et indéterminé, l’Empire galactique a manqué de s’effondrer au cours des 5 siècles durant lesquels se sont déroulées les Guerres des Marches, mettant en conflit la Guilde du commerce contre les Nathians. Il se reconstruit péniblement avec son incroyable technologie, permettant l’apprentissage d’un langage de manière ultra-courte ou de faire repousser les membres, en éliminant au passage quelques civilisations parasites qui se sont développées durant les Guerres, parce que faut pas déconner non plus.

Le corps du R.R., une administration chargée de la redécouverte des planètes abandonnées lors du conflit, est chargé d’apporter « longue vie et prospérité » à ces peuples retombés dans le primitivisme (ce qui est absolument « fascinant », comme dirait un capitaine qui s’est trop fait tirer les oreilles), à condition qu’ils adhèrent à l’Empire. Ils peuvent conserver leur religion, à condition d’accepter l’autorité du Surdieu, qui règne sur Amel, la légendaire « planète de tous les dieux » (un peu comme l’Empire romain qui autorisait n’importe quel culte pourvu qu’on en voue un à côté pour l’empereur, sauf que là c’est une entité abstraite pour mettre les mono- et polythéistes d’accord).

Tout irait pour le mieux dans le meilleur des univers, sauf que :

  • Lewis Orne est un agent de l’I.N., une organisation rivale du R.R., chargé de vérifier que ceux-ci ne découvrent pas la planète de trop qui risque d’achever l’Empire ;
  • des tas de planètes qu’on pensait primitives ont en fait des ambitions militaires et comptent bien dessus pour se rafler quelques petits systèmes de périphérie ;
  • les Nathians préparent leur come back et s’infiltrent dans la population ;
  • Amel existe pour de vrai et ses prêtres veulent « fabriquer » un dieu. Ex nihilo ? Non, ils projettent leur énergie mentale au hasard dans l’Univers grâce à leurs machines Psi, et celle-ci tombe… sur Lewis Orne.

Autant vous dire qu’à partir de là, le roman a tout pour plaire aux fans de Herbert : citations cryptiques en début de chapitre, scènes de religion hallucinées animisto-mystiques, complots politiques, personnages rustauds mais pas dépourvus de sentiments… Le truc, c’est que ce roman est tellement proche de son aîné qu’il semble parfois être symptomatique d’un manque de renouvellement (note : selon l’ami Orion, ce roman est un fix-up dont les nouvelles avaient été écrites bien avant, mais les similitudes restent dérangeantes pour le lecteur de Dune aguerri). Et pour preuve :

/!\ WARNING SPOILERS DE LA MORT QUI TUE /!\

  • Lewis Orne accède à une transcendance qui le fait dépasser le stade de simple humain pour se rapprocher de l’état divin… à l’image de Paul Atréides ;
  • Pour cela il reste un long moment entre la vie et la mort afin de renaître, comme Paul qui boit l’Eau de Vie non purifiée ;
  • Il découvre qu’il a une ascendance Nathiane… et Paul découvre qu’il a une ascendance Harkonnen ;
  • Les Nathians sont presque exclusivement féminins et pour cela utilisent un programme de sélection générique #BeneGesserit…

Mais le livre ne se contente pas d’être un duplicata bête et méchant, et là où Dune voyait le Jihad comme une nécessité, Et l’Homme créa un dieu s’interroge à comment créer la religion (et le dieu du coup) qui serait capable de garantir une paix absolue. Sauf que le livre a du mal avec son propre concept : on zigzague entre explication limpides et d’autres beaucoup plus confuses tout au long du livre, et la deuxième partie ressemble à la fin des Mondes d’Edena moins les dessins sous LSD. C’est peut-être ce qui me dérange le plus dans le livre : on commence avec une première partie qui ouvre grands les portes à une espèce d’univers de Dune remixé par Asimov, pour virer à la moitié dans un parcours initiatique sur une planète fantasmagorique qui, s’il est très intéressant à analyser pour des raisons que je ne vais pas divulgâcher, reste nébuleux et finalement assez peu relié au reste…

Malgré tout, Et l’homme créa un dieu a ce mérite d’être court à lire, de découvrir en un petit one-shot un univers large et complexe, avec de la politique, du suspense et des interrogations métaphysiques. Pour toutes ces raisons, même si ce livre ne s’inscrit pas dans l’univers de Dune, je pense que l’amateur éclairé du cycle aurait tout de même un grand intérêt à se pencher dessus.

Conclusion

Et l’Homme créa un dieu est un roman pas toujours très clair, parce qu’on ne sait pas toujours sur quoi l’auteur s’interroge autour de la théogonie, ou qu’il possède dans son récit une rupture nette entre intrigues politiques et mysticisme ce qui n’était pas le cas dans l’œuvre principale de Frank Herbert. Cela ne veut pas pour autant dire qu’il est illisible ou dépourvu d’intérêts, loin de là ! Là où dans Dune certains l’accusent de trop de prévisibilité, là nous avons un livre certes un peu foutraque mais impossible à prédire, quand bien même aux moments où on s’y attendrait le plus. L’univers, même relativement classique, a un gros potentiel, l’ambiance est au rendez-vous, et puis bon, c’est pour votre culture…

Pour une critique et analyse bien mieux fournie, je vous conseille : L’Épaule d’Orion, …

(Ah ! Et au fait, vous vous souvenez de ma chronique sur la blackgaze, il y a quelques mois ? Eh ben désormais on pourra plus dire que c’est pour les fragiles : )

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