Journal de bord du recrue Scribouille. On m’a rétrogradé de mon poste d’amiral pour avoir critiqué Trillmania, le fameux pamphlet des cardassiennes Dorak Muto et Margrik Stern. Tout ce que je disais, c’était juste qu’ils auraient pu le livrer en meilleure qualité sur Amazon. Décidément, on ne peut plus rien dire…

Durant mes rares heures de loisir, je regarde donc ce que donne le Nu Trek, à commencer par la Kelvin Time Line, cette série de films ayant relancé la saga quand tout le monde la croyait morte. Il faut savoir que nous sommes quatre ans après ENT et sa série de déceptions, la plus grosse étant sans doute son final aux allures de diarrhée intersidérale ; les derniers spectateurs se sont tournés vers d’autres franchises, mais c’est sans compter le fait que le capitalisme ne laisse jamais mourir ses poules aux œufs d’or, même s’il doit les placer en coma artificiel et qu’une desdites poule rêve de lui cramer sa race. On l’avait déjà dit dans l’article précédent, deux yes-men vont reprendre les rênes de l’univers, J. J. Abrams, ayant produit les trois films dont nous allons parler ici (et réalisé les deux premiers), ainsi qu’Alex Kurtzman, qui relancera les séries à partir de 2017 et se voit crédité ici parmi les scénaristes des films réalisés par Abrams. Comme vous pouvez vous en douter, la KTL occupe une place ambigüe dans le cœur des fans : ces deux hommes ne brillent pas pour leur finesse d’écriture (remember la Postlogie Star Wars), mais d’un autre côté, de bons vieux blockbusters bourrins permettraient de relancer bien plus efficacement Star Trek que d’envoyer ses acteurs se faire transformer en hologrammes ou en salamandres géantes, non ?

Impression globale

Et effectivement, niveau SFX, on est servis. Grosses explosions dans tous les sens, vaisseaux spatiaux gros comme le casier judiciaire de LR, et bien entendu lance-flares à gogo : il ne faut pas oublier qu’Abrams possède un grand sens du rythme et de la belle image. Les scènes d’action sont les plus magnifiques dont pourra jamais rêver un fan de Star Trek, habitué d’ordinaire aux trucages faits avec trois bouts de ficelle (en tout cas pour TOS, dont les personnages sont repris ici). De même, c’est avec une remarquable économie de dialogues que l’on introduit les néophytes à l’univers Star Trek : avant même le premier dialogue, on comprend qu’une Fédération interplanétaire envoie des vaisseaux explorer le cosmos. Enfin, Abrams réussit à retranscrire ce à quoi peinaient tous ses prédécesseurs : la VITESSE. En effet, se faire propulser dans l’hyperespace ou esquiver les coups dans une bataille spatiale, ça demande des changements d’échelle de cadre, de focale et de mouvements de caméra permanents, bref le rythme effréné des blockbusters d’action de ces vingt dernières années. Le successeur d’Abrams à la réal ne déçoit pas non plus de ce côté-là… et vous allez vite comprendre pourquoi.

Par contre, en terme de scénario, on empile conneries sur conneries. À commencer par la cohérence avec le postulat de base. Le principe de la KTL est simple : un vaisseau romulien venu du futur, accompagné malgré lui par un Spock allant sur ses dernières années, en rencontre un autre venant de Starfleet, le Kelvin, provoquant un affrontement meurtrier. Le père de Kirke meurt, laissant son fils sans repère moral, ce qui le rend encore plus tête brûlée qu’il ne l’était déjà. Insolent, têtu, borné, mais aussi gaffeur, Kirke va devoir lutter, notamment contre lui-même, s’il veut devenir le grand capitaine que l’on connaît. C’est donc l’occasion de rebooter TOS sans pour autant effacer l’univers créé par Gene Roddenberry, mais en mettant simplement ce qu’il était à l’origine… disons de côté. Seulement maintenant qu’on a dit ça, comment est-ce que ça explique que Spock et Uhura aient une relation amoureuse alors que Spock cherche explicitement à instaurer une distance avec elle dans la série originelle ? Peut-être parce que se faisant draguer trop ouvertement par le nouveau Kirke, elle aura choisi de lui signifier clairement son refus en se mettant avec l’homme qui lui est le plus opposé possible. Pourquoi est-ce que Spock ne décide pas de repartir dans son futur ? Peut-être parce qu’il a peur d’avoir trop modifié le passé et qu’il veut s’assurer que les évènements vont reprendre leur cours normal. Pourquoi est-ce que Kirke n’est pas mandaté d’office pour une mission de cinq ans ? Peut-être parce que Starfleet le trouvait trop impulsif (ce qui ne l’empêche pas de faire en l’espace d’un an tous ses voyages les plus emblématiques, la découverte des tribulles, des gorns, et on nous rajoute même dans le lot une mention des cardassiens). Pourquoi est-ce que Khan se fait ressusciter par la Section 31 ici et pas dans TOS ? Peut-être parce que Spock a laissé fuiter des informations sur lui. Et de la même manière, pourquoi est-ce que dans TOS l’Enterprise n’est pas détruite par un essaim de vaisseaux de combat ? Peut-être parce que Kirke par impulsivité a choisi de se rendre plus tôt dans ce secteur spatial, et que sans ça ç’aurait été un autre capitaine qui s’en serait chargé. Et vous voyez où je veux en venir avec tous ces « peut-être » : rien n’est jamais sûr, rien n’est explicité à l’écran ou dans les dialogues, je ne peux me baser que sur mes suppositions de fan qui tiennent parfois avec de la colle et du caca magique. Et là, encore, on parle que de questions de lore un peu débiles…

Non, le vrai problème, au final, c’est que Star Trek est complètement dépolitisé : la saga audiovisuelle la plus à gauche des États-Unis se fait ici lisser et ôter tout propos subversif, ce serait quand même idiot de claquer en l’air tous ces millions de patates, ma bonne dame. Les distributions d’ensemble auxquelles on nous avait habitués laissent place à une héroïsation encore plus grande qu’à l’époque de Kirke, l’intrépide ricain blanc et blond sans lequel ces racailles bolchéviques de Sulu et Tchekhov crèveraient un peu trop l’écran. Quand cinq ans plus tôt ENT réutilisait ce genre de personnages mais pour mieux le critiquer avec l’attachant mais insupportable Tucker, cette démarche avait encore un sens : ici, on reprend la structure de tous les grands récits capitalistes, un homme providentiel qui sauve à lui seul la société parce qu’il est plus intelligent / a plus de volonté que tout le monde. De la même manière, on s’en doute, les méchants sont juste des gros rageux mégalomanes en quête de vengeance : ce n’est pas par ici qu’on risque de trouver un bout de Gul Dukat. Le fait qu’on nous montre la Fédération utiliser encore des transports individuels à moteur (sérieusement, je pense que les seuls à utiliser encore des voitures dans un tel univers sont des fétichistes comme Tom Paris) ou des grandes marques d’informatique (avec un placement de produit éhonté pour Nokia) montrent clairement qu’Abrams ne voit cette société que comme des États-Unis du turfu… et aucunement comme une utopie socialiste.

Après, je dis pas tout ça juste pour lui casser du sucre ! Techniquement, les scénarios restent valables : Kirke reste entouré de son équipe, et les autres membres de l’équipage ont quand même toujours ou quasiment un rôle à jouer au sein du récit (particulièrement Spock, plus fragile que jamais, de loin le personnage le mieux écrit) ; des confrontations entre les persos donnent un peu de piment, ou les aident à dépasser certains points de vue ; mais encore une fois, tout est tellement politiquement correct qu’il n’y a rien de ce côté-là qu’on n’ait pas déjà vu ailleurs.

Si tout ce que je vous ai dit ne vous a pas trop gênés, alors il y a quand même une chance que vous kiffiez (voire même, soyons fous, que vous fassiez kiffer votre famille avec Star Trek). Voyons donc ce que ces films ont individuellement dans le ventre.

Les films

J. J. Abrams — Star Trek (le film de 2009)

star-trek-2009-us-posterC’est donc la première mission pour Kirke, tout fraîchement sorti de Starfleet Academy, l’école des officiers de la Fédération : il s’agit de comprendre exactement ce qui s’est passé quand, vingt-cinq ans plus tôt, un vaisseau romulien venu du futur a fait irruption dans le passé, et surtout, pourquoi il revient maintenant… L’occasion de dévoiler un Kirke habitué aux petites combines, un McCoy encore plus hargneux que d’habitude (avec une mascotte en prime), et surtout un vaisseau de méchants extraterrestres génialement designé au point d’avoir été repompé quasiment comme tel par ces feignasses de Chistophe Bec et Patrick Neaud dans leur déjà pas terrible série Labyrinthus. Conspuons-les !

Le problème, c’est qu’outre le fait que je m’étais déjà plaint récemment du schéma récurrent « petit con devient grand sage », Kirke n’attire pas spécialement l’affection : il drague Uhura avec la douceur d’un Fatal Bazooka, l’insulte avec l’empathie d’un bad boy de Wattpad, et lui touche même accidentellement les seins (comme c’est pratique pour rincer l’œil du spectateur mâle). Ça et le fait qu’il soit un bagarreur de première, un sale gosse et un poseur, ça donne franchement beaucoup d’antipathie envers le personnage, qui n’est contrebalancée par aucun moment intime qui nous ferait susciter de l’attachement pour lui, façon Saturday Night Fever. Il faudra de grosses épreuves avant qu’il daigne enfin faire preuve d’un peu d’altruisme, et encore on pourrait juger son écriture insuffisante puisqu’il n’est jamais mis concrètement face aux conséquences de ses erreurs. Spock s’en sort beaucoup mieux : reconnaissant ses erreurs et ses faiblesses, il évolue de scientifique juste mais arrogant à officier avisé en subissant de nombreuses épreuves… et en suivant ses intuitions, preuve qu’il ne se cantonne pas à sa condition de vulcain.

J. J. Abrams — Star Trek into Darkness

boJdRJ2owbBDyPURb129Hlejfn1Cette fois fini de rire, Khan entre en lice, ou plutôt sa version Wish jouée par Benedict Cumbertach. Quelle idée de faire jouer un colosse pareil par un gringalet… Mais le plus dommageable à mon sens reste de l’avoir whitewashé, comme si des racisés ne pouvaient pas eux aussi être racistes ou suprémacistes (la preuve que non ici). Si le film trouve son identité propre durant 1h45, son final en revanche est sur un point précis un parfait remake de Star Trek II, reprenant au passage le fameux « Kkkkhhhhhaaaaaaannnnnn !!!!!! ».

Et ça m’emmerde parce que scénaristiquement, c’est le film qui se tient le mieux (ou en tout cas qui affiche le plus d’ambition) : Khan élabore une série de plans pour brouiller les pistes autour de ses véritables motivations, et Kirke est même obligé de collaborer avec lui s’il veut s’en sortir. Spock quant à lui est une nouvelle fois repoussé dans ses derniers retranchements, mais cette fois-ci non plus par rapport à sa culture vulcaine, mais par rapport à un ami qui il n’y a pas longtemps encore était encore un parfait ennemi. Enfin, la scène d’éjection dans l’espace bat à plate couture celle qui se trouvait déjà dans Némésis (un des rares trucs qu’on pouvait sauver du film).

Justin Lin — Star Trek Beyond

cnQp8GmOWahIgQaH60Kwez3TNzwKirke a obtenu sa mission de cinq ans dans l’espace : le voici aux plus lointains avant-postes de la Fédération, acceptant une mission qui sent tout de suite le traquenard. Et ce n’est pas peu dire : immédiatement, l’Enterprise est détruite, et ses survivants doivent échapper à un apprenti maître du monde convoitant une arme bactériologique se trouvant malencontreusement en leur possession…

Hélas, confier Star Trek à Justin Lin, réalisateur de la moitié des Fast and Furious, n’était la chose ni la plus probable, ni la plus sensée : tout ce qui existait déjà chez Abrams se retrouve accentué. Visuellement, c’est un festival de couleurs pop avec des idées de worldbuilding franchement cools (et utilisées à la toute fin pour un très beau combat en apesanteur) ; scénaristiquement en revanche, même moi je vois facilement les incohérences. Pourquoi les aliens ont-ils divisé en deux parties leur arme à la con au lieu de simplement la détruire ? Pourquoi des persos se font téléporter en plein mouvement alors qu’on nous a expliqué que c’est techniquement impossible ? Et puis il y a une alien possédant un gadget qui lui confère une maîtrise des hologrammes encore meilleure qu’au XXXIe siècle, puis qui rejoint Starfleet sans que ça ne fasse hausser le sourcil de personne : on est au XXIIIe siècle, purée de pomme de terre ! Les holodecks sont encore expérimentaux et personne ne songe encore à créer des hologrammes ailleurs !

Mais ce qui me scie le plus, c’est comment le film esquive systématiquement son propos de base : l’Enterprise est perdue dans l’espace profond. Les jours se succèdent et se ressemblent loin d’une Terre où se trouvent toutes nos attaches. L’équipage est amené à s’aventurer dans des zones où la communication avec Starfleet ne passe plus. Il se retrouve brisé par une civilisation alien technologiquement supérieure. À quel moment est-ce qu’on ressent cet écrasement ? L’impression de n’être rien face à l’Univers ? Le fait de devoir survivre avec sa bite et son couteau au cœur d’environnements hostiles ? Le questionnement sur si ce qu’on fait a vraiment un sens ? Non, au lieu de ça, on est dans un divertissement pop-corn avec du pan-pan boum-boum en veux-tu en voilà, et du high-tech de partout y compris du côté de la Fédération, alors qu’on est à ses frontières les plus lointaines. Des trois films, c’est celui que je préfère… et paradoxalement celui que je trouve le plus con.

Conclusion

J. J. Abrams est un bon réalisateur. Je continue à apprécier le côté « montagnes russes à travers la pop-culture » que je lui trouvais déjà dans la Postlogie. Le problème, c’est qu’il s’entoure systématiquement de mauvais scénaristes. Cela l’empêche d’avoir une vision d’auteur sur ses créations, mais aussi sur ses productions. Il en résulte ces trois films qui sont du Star Trek sans en être, laissant complètement tomber l’aspect réflexif de la saga au profit des scènes d’action. Ce sont de bons divertissements. Mais est-ce que ça suffit à en faire de bons films ? Rien n’est moins sûr.

Il va falloir que je me rattrape aussi les séries de Kurtzman, mais comme vous vous en doutez je ne suis pas spécialement chaud lapin (du moins pour les séries en live-action : celles animées m’ont l’air de bien mieux s’en sortir). En plus de ça, je vais essayer de ne pas me ruiner avec trois milliards d’abonnements différents à la sVoD, autant vous dire que si ces visionnages doivent avoir lieu, je ne les chroniquerai pas de sitôt. Bah, essayons de mater tout ça quand même, ça fera un plus à ma culture…

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