Pardonnez-moi, je le confesse, je ne me rends que très peu sur le blog de la camarade Vert, qui a pourtant eu dernièrement l’excellente initiative de proposer un tag sur les meilleures parutions de ces vingt dernières années. Foin des Chroniques martiennes et autres 1984 over-cités par des éditorialistes de fond de bistrot, on va montrer à tout le monde que non, l’Imaginaire n’est pas mort ! La SFFF post-2000 possède elle aussi ses perles, et personne ne les met en avant, nous voulons du jeune, crénom ! Du vrai jeune !

— Mais enfin Sylvain, qu’est-ce que tu vas leur proposer ? Tu lis quasiment jamais de nouveautés ! Tout le monde sait que c’était mieux avant !

— Eh oui, pardonnez-moi, en bon vieux réac pantouflard cynique et désabusé, je ne jure que par mes classiques, mais ça ne m’a pas empêché de faire un best-of de 8 livres (3 en fantasy et 4 en SF / rétrofuturisme) de ce que j’ai lu de la SFFF contemporaine. Néanmoins, en petit plus à cet article, je me suis permis d’y ajouter 3 autres textes qui s’avèrent quant à eux des pépites de l’Imaginaire du XXe siècle que je suis quasiment le seul à connaître. Rien ne se perd, tout se transforme, et s’il y a des parutions excellentes et méconnues de nos jours, n’oublions pas celles d’hier…

Comprenons-nous bien : il ne s’agit pas d’un top ni d’un classement, mais d’une anthologie comme il pourra y en avoir d’autres sur ce blog ou ailleurs. J’ai arrêté House of Suns d’Alastair Reynolds faute de temps pour lire l’anglais, mais le peu que j’en ai découvert laisse présager que lui aussi mériterait de siéger ici (The last human, plusieurs textes de Baxter ou de Neil Asher également). De même, je vais essayer autant que possible de ne pas recommander d’excellents livres déjà conseillés par d’autres internautes, comme Wyld tome 1 par exemple, afin d’encourager les gens à se rendre sur le plus de blogs possibles (note : entre la rédaction et la publication de cet article, évidemment un ou deux articles des copains sont parus comportant certains des livres qui s’apprêtent à être cités) ; enfin, on évitera de citer de bons auteurs connus malgré tout par la presse mainstream : je pense que Damasio n’a pas besoin, mais alors pas du tout besoin, qu’on lui fasse de la publicité.

Il s’agit donc juste ici de révéler au monde quelques pépites encore trop méconnues, ou bien célèbres au niveau international mais seulement chez les adeptes du genre. Si vous êtes un libraire ou un bibliothécaire, voilà donc les livres que je ne saurais que trop conseiller en priorité si j’étais à votre place.

(Petite précision après rédaction de l’article : évidemment, quand on parle d’incontournable, on pense tout de suite : les livres à lire absolument. Il s’agit plutôt chez moi des œuvres à recommander en priorité : tous les livres ne se destinent pas au même public et certains, comme le premier ou l’avant-dernier, contiennent notamment des scènes de violence qui font qu’il ne faut pas non plus les conseiller à tout le monde. J’ai malgré tout tenté de choisir des livres s’adressant au nombre de personnes le plus large et conservant une moralité avec laquelle le lecteur devrait tomber d’accord.)

Les incontournables SFFF post-2000

Ange — Ayesha : La légende du peuple turquoise

51wQL3I6HXL._SX210_.jpgQuand on vous parle fantasy orientale française, vous avez de fortes chances de citer Porcelaine d’Estelle Faye ou bien Les masques d’Azr’Kila de Charlotte Bousquet ; ce serait oublier trois sagas majeures qui sont apparues bien plus tôt : Le jeu de la Trame, de Sylviane Corgiat et Bruno Lecygne durant les années 70, déconseillé aux âmes sensibles car également dark et érotique, Le cycle de Ji de Pierre Grimbert durant les années 90, sans doute le plus connu des trois, et enfin la trilogie Les trois lunes de Tanjor du duo Anne et Gérard Guéro (alias Ange), parue de 2001 à 2003. Celle-ci s’est faite par la suite remanier et regrouper en un seul volume, Ayesha… avant de se faire à nouveau découper en trois par Bragelonne qui aime se faire des gros sous !

J’en avais déjà parlé dans une vidéo bien cheapos et une critique Babelio : Ayesha constitue pour moi ce qui s’est fait de mieux dans la SFFF française. Dark fantasy politique arabisante, elle met en scène des nations orientales réduisant en esclavage un peuple blond aux yeux bleus (mais dis-moi, Sylvain, c’est de très bon goût de parler de ce bouquin quand Éric Zemmour nage dans son délire de racisme anti-blanc !). Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’en inversant les rôles, Ange ne nous propose pas une allégorie révisionniste de la réalité, mais présente les mécanismes du racisme, en montrant qu’il ne s’agit pas de la faute d’une nature blanche qui serait mauvaise par essence, mais bien d’une idéologie justifiant ses actes par des impératifs politiques, économiques ou religieux.

Cette absence de manichéisme se traduit par une déconstruction de la figure héroïque guidant les esclaves vers la liberté que nous vend éhontément la quatrième de couverture : prenez l’héroïne, Marikani. À première vue, elle a l’air d’être la parfaite héroïne Pierre-Bordagesque, pure, innocente avec un zeste de naïveté, clamant la mort des dieux et la lapidation des idoles ; mais deux éléments vont l’empêcher d’incarner la figure progressiste qu’elle est censée être : 1°) elle va rencontrer Arekh, ancien criminel pas-du-tout-repenti paradoxalement très croyant, 2°) une série d’évènements va la destituer de ses fonctions politiques et l’amener à se faire passer pour une incarnation d’Ayesha (à moins qu’elle ne le soit vraiment ?), la déesse chargée de délivrer les esclaves dans une rébellion sanglante. L’histoire va donc suivre à partir de là l’apparente rédemption d’Arekh et la descente aux enfers de Marikani, jusqu’à une phrase finale particulièrement nihiliste sonnant comme un avertissement aux générations futures.

Que dire de plus ? Vous avez là un style amer et élégiaque, mais direct et jamais complaisant ; un univers très riche avec un background de six milliers d’années ; une parfaite illustration du paradoxe du croyant qui se met à croire davantage en Dieu quand celui-ci semble l’abandonner ; une situation géopolitique complexe, une romance jamais mièvre ou encore cette superbe couverture (pour une édition malheureusement épuisée). Alors certes, la révélation arrivant à la fin du tome 1 est cousue de fil blanc, certains personnages passent un peu brusquement de l’innocence à l’ultra-badassitude une fois qu’on les a confrontés à la violence, mais c’est tellement bien raconté, riche en détails et ne sombrant jamais dans le grimdark facile, que pour moi ce livre entre sans difficulté au panthéon du genre.

Paul Stewart & Chris Riddell — Chroniques du bout du monde : La trilogie de Rémiz, tome 2 : Vox le Terrible

CVT_Chroniques-du-bout-du-monde-Cycle-de-Remiz-Tome-_6987Si vous suivez assidûment le blog, vous savez que je n’aime pas franchement les cycles de fantasy jeunesse actuels, à l’exception d’un seul : les Chroniques du bout du monde, de Paul Stewart et Chris Ridell, grâce à son ambition dans son worldbuilding exceptionnellement fouillé à tous les niveaux : animaux, créatures, lois physiques ou météorologiques, politique, architecture, tout est le plus improbable possible (tout en parvenant à rester cohérent). Agrémenté de multiples illustrations, il touche pour moi son acmé avec Vox le Terrible, tome 2 de la trilogie de Rémiz, précédé d’un premier volume plus mollasson mais indispensable pour comprendre la suite. J’en avais déjà touché un mot avec ma mini-rétrospective du cycle et ma critique Babelio : les cités d’Infraville et Sanctaphrax sont en ruines, la première étant dirigée par une multitude de factions différentes, la deuxième par les Gardiens de la Nuit, une secte s’étant jurée de faire voler à nouveau le rocher sur lequel elle était juchée. Tyran déchu de Sanctaphrax, Vox Verlix complote sa vengance à l’aide de… À l’aide de quoi, exactement ? C’est ce que notre héros Rémiz va découvrir à ses dépens !

Parvenant à enrichir davantage un univers déjà exceptionnellement riche et complexe et signant en même temps la destruction de plusieurs pans de celui-ci par plusieurs coups de théâtre, Vox le Terrible malmène ses personnages principaux mais ne les en rend que plus attachants ; le tout au service d’un humour et d’une noirceur peu commune dans un roman jeunesse, mais où le Mal finit par vaincre le Mal tandis que l’honnêteté triomphe haut la main. On notera seulement un style plutôt discret et un épilogue assez maladroit en ceci que les adultes pourront y voir un sous-entendu pas franchement ce qu’il y a de plus tête blonde. Du reste, du grand spectacle et certainement mon tome préféré !

Alexis Flamand — La trilogie d’Alamänder, tome 1 : La porte des abysses

ALAMANDER1Ces dix dernières années ont vu apparaître en France une trilogie de fantasy pour le moins ovniesque : puisant tous ses codes dans la SF (le tome 3 s’inscrira d’ailleurs ouvertement dans la science-fantasy), délaissant le médiéval pour un univers plus étrange et organique, à la fois humoristique et se penchant avec le plus grand des sérieux sur ses systèmes de magie, multipliant les clins d’œil à Clarke, Lovecraft ou Vance, s’hybridant avec le roman policier comme le récit criminel, Alamänder s’avère comme un pur plaisir pour le connaisseur. Si les deux tomes suivants sont (à peine) moins bons, La porte des abysses est un tome 1 parfaitement maîtrisé, qu’il s’agisse des innombrables facéties du diablotin Retzel ou du sense of wonder délirant dont fait preuve Alexis Flamand. Ceci accompagné d’illustrations de toute beautay ; les sceptiques pourront toujours essayer d’en savoir plus avec ma critique.

Ken Liu — Jardins de poussière

70117Ken Liu est sans conteste la coqueluche des nouveaux écrivains de SF (et de temps en temps de fantasy) ; à tort ou à raison, cela dépend de si vous êtes ou non un grand sentimental. Reste que nombre de ses textes proposent des pistes de réflexion passionnantes bien que souvent déjà-vues chez d’autres auteurs. Deux recueils de ses nouvelles sont parus en France, La ménagerie de papier puis Jardins de poussière ; si j’ai finalement choisi le second, c’est en raison de sa toute dernière nouvelle, Printemps cosmique, un condensé de sense of wonder desservi par une plume superbe. À noter aussi que si quelques nouvelles sont moyennes, aucune ici n’est franchement mauvaise et l’ensemble fait preuve d’un éclectisme remarquable. Amis des drames intimes comme de la SF spectaculaire, vous allez pouvoir être réconciliés ici dans cet ouvrage passionnant !

Timothé Le Boucher — Ces jours qui disparaissent

imageAutre découverte en SF intime qui a fait chialer mon cœur de pâquerette : Ces jours qui disparaissent, assez longue bande dessinée 100% franco-française. Si la technologie n’arrive que sur la fin et ne sert finalement que de décor, l’intrigue en revanche part d’un postulat psychologique pour le moins intéressant : Lubin se réveille un jour sur deux avec une autre personnalité, et les deux êtres que son corps héberge ne gardent chacun jamais aucun souvenir de l’autre. Au moins ses périodes de schizophrénie sont-elles prévisibles… du moins au début.

Thimothé Le Boucher parvient à nous faire nous attacher à ses personnages adolescents en un temps record, par l’humour comme par l’intensité avec laquelle ils perçoivent chaque situation dramatique. Outre le mystère entourant le héros à la lisière du fantastique, la BD se démarque par sa réflexion principale (que se passerait-il si le temps passait trop vite pour que nous puissions vivre comme nous le voulons), mais aussi et surtout une autre qui m’a convaincu d’acheter le livre : au final, qui est le parasite ?

Adrian Tchaikovsky — Dans la toile du temps

dans-la-toile-du-tempsPhénomène acclamé dans la hard-SF britannique, Dans la toile du temps (de son plus beau titre VO Children of Time) est un roman de planet opera faisant défiler les millénaires pour retracer une civilisation pour le moins originale. Une planète terraformée censée se faire habiter par des singes mutants se retrouve suite à un accident colonisée par des habitants… bien plus particuliers.

Si j’avais de base un a priori très négatif sur le livre (la méchante est un peu en mode mouhahahaha), on n’en a pas moins un excellent récit, suivant l’évolution des créatures s’emparant de la planète, bien différentes des humains, et en parallèle la vie d’un vaisseau-congélation et -génération, avec des questionnements ethnologiques forts et une fin pleine d’humanisme et d’humanité. Il s’agit de la seule œuvre ici à être passée à un chouïa du « lu et approuvé » ; ça n’en fait pas moins de la grande SF comme on n’en fait plus. Dans le même style en à peine moins riche mais bien plus axé sur le divertissement, vous pouvez également vous ruer sur Acadie de Dave Hutschinson…

Les incontournables SFFF pré-2000

Samuel R. Delany — La Fosse aux Étoiles

chants-de-l-espace-905545-264-432Quand on vous parle du space opera des années 60, vous pensez aussitôt à Isaac Asimov, Jack Vance ou Gene Roddenberry. Ce que vous ne savez pas c’est qu’à la même période se faisait connaître Samuel R. Delany, auteur noir et gay tombé depuis dans l’oubli sauf, selon la formule du camarade Alfaric, « dans quelques cercles intellos prout-prout ». D’ailleurs, comme celui-ci déteste ce texte, je me dois de faire amende honorable en vous en proposant un autre du même recueil

Babel-17 est donc une novella mettant en scène le langage éponyme, incompréhensible mais permettant de connaître l’univers de la manière la plus objective possible. La linguiste Rydra Wrong va faire une découverte en plus : celui-ci permet d’élargir les perceptions… Avant-gardiste, parfois de manière ahum… surprenante (un vaisseau nécessite des trouples pour le voyage spatial), ce texte de soft-SF mêle récit d’aventure héritier du pulp et expériences linguistiques passionnantes. À noter que dans son univers, l’héroïne est l’autrice d’un autre texte de space opera, qui se trouve lui aussi dans le recueil !

Et donc, pourquoi j’aime La Fosse aux Étoiles ? Il ne faut pas y voir un récit mais une errance mélancolique parsemée d’idées de soft-SF dans laquelle il fait bon s’y perdre. Après un accident avec les enfants dans la communauté où il habitait, le narrateur décide de partir errer à travers l’espace. L’auteur peut faire polémique en imaginant un futur où le concept de famille est obsolète, mais ça n’a pas de véritable impact sur le récit. Quasiment toutes les scènes (en particulier la première), irradient d’un baroque flamboyant, dressant le portrait d’un homme vagabondant au travers d’une galaxie où l’Humanité, ayant cru toucher la dernière frontière, se retrouve en fait confrontée à une nouvelle limite de taille… Vous savez que j’aime pas trop les space-ops se limitant obstinément à une seule galaxie, ici il y a une raison, et pour le moins originale.

La Fosse aux Étoiles, c’est du Delany qui se la joue Damasio avant l’heure, sans tomber pour autant dans le pédantisme comme il le fera avec … Et pour toujours Gomorrhe ou Le temps considéré comme une hélice de pierres semi-précieuses, avec une plume exigeante mais poétique, multipliant les trouvailles de sense of wonder. L’histoire se déroule comme un long rêve éveillé, sans véritable début ni fin ; tout baigne dans l’étrange mélancolie des colons de l’espace.

Jack Vance — Personnes déplacées

67632Si jamais vous êtes invités sur Thinkerview et qu’il vous manque trois livres ou un conseil pour les jeunes générations, Personnes déplacées constitue un texte majeur méconnu à la fois de science- et de politique-fiction. Uchronie a posteriori à la sortie de la Seconde guerre mondiale, elle raconte l’arrivée de visiteurs… mais pas extraterrestres, et comment nos gouvernements terriens vont les chouchouter et les coucouliner (non). Avouons-le, ça fait un peu penser au Biaffrogalisthan et au Darfimbabwour ; mais ici ce sont bien les (ir)responsables politiques qui sont visés, et non pas les citoyens qui ne peuvent après tout que suivre le mouvement. Chronique lucide et d’une noirceur extrême, Personnes déplacées constitue sans doute le meilleur texte que j’aie lu cette année ; ou comment démontrer que toute tentative de solidarité entre les peuples est vaine aussi longtemps qu’on fera passer l’État avant l’humain.

Jorge Luís Borges — L’Aleph

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Et enfin pour finir, encore de la beauté et de la poésie. Si je vous parle d’un nouvelliste fantastique du début du XXe siècle en proie aux angoisses métaphysiques, vous me citerez à tous les coups Lovecraft ; mais il existait un tout autre maître montrant cette fois l’humain écrasé par le gigantisme de l’univers non pas par des monstres cosmiques mais par l’expérience de l’infini. Vous connaissez sans doute l’écrivain argentin Jorge Luís Borges pour La bibliothèque de Babel, sans vous douter qu’il a écrit d’autres nouvelles au moins tout aussi prodigieuses dans L’Aleph, à savoir L’Immortel et la nouvelle éponyme. L’Immortel constitue sans doute sa nouvelle la plus lovecraftienne, où un personnage prisonnier d’un labyrinthe parfaitement symétrique découvre en son sein un autre labyrinthe aux règles plus complexes si tant est qu’il y en ait, au point qu’il en devient totalement illogique aux yeux d’un pauvre mortel. Quant à L’Aleph… Eh bien ça, mes enfants, c’est encore autre chose.

Nouvelle autofictive où Borges doit supporter un comparse qui écrit comme un pied, L’Aleph possède un certain parfum Arthur C. Clarke pour le sérieux et l’aplomb avec lequel il décrit une singularité de l’Univers pour le moins extraordinaire ; sauf qu’ici, elle n’est pas scientifique, mais métaphysique. Teintée d’humour sardonique, cette nouvelle est non seulement un réservoir exceptionnel de sense of wonder, mais offre en plus une véritable leçon d’écriture, confrontant un style exagérément pédant à un autre simple et humble, s’effaçant derrière ce qu’il décrit qui se fait déjà bien assez incroyable en soi. Avec ça, vous devrez avoir une bonne flopée de textes à conseiller à vos adeptes. Après, je dis ça, c’est pour votre culture…

D’autres conseils que moi chez : L’ours inculte, Anudar, FeydRautha, Yossarian, Célindanaé, Lotheshar, Boudicca, Le chroniqueur, Herbefol, Apophis, Dyonisos, …

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