Résumé : Alors que la tournée du grand barbu approche à grands pas, Arsène Poirot et l’inspecteur Roger enquêtent sur un mystérieux tueur chez les riches Baskerville de la petite ville de Baskerville, qui s’avère ne pas être la honte de la famille, Lord Norton, ni la superbe Ophélie pour laquelle Arsène semble en pincer fort. Le tueur est-il Tata Longues-Jambes, sorcière légendaire aux pouvoirs terrifiants ? Quelle sera la prochaine victime ? Cet article servira-t-il à quelque chose pour votre culture ?

Philéas leva les yeux de par-dessus les rayonnages.

Arsène Poirot venait d’entrer, avec la mine de quelqu’un qui vient de boire beaucoup, beaucoup trop de café pour son propre bien. Il se cala contre un mur et se roula une cigarette : l’adjoint fumait rarement, mais il n’y manquait pas lorsque l’occasion était justifiée.

« C’est interdit de fumer dans les locaux », fit signaler le commerçant. Un sourire d’appétit se manifesta soudain sur son visage rond : « Sauf si vous êtes consentant pour une petite amende.

— Je voudrais un livre sur les poisons ou la lignée des Baskerville, dit Arsène. Vous êtes les seuls ici à présent que nous avons épuisé la mairie et la bibliothèque du manoir où trouver facilement de la littérature et notre enquête a des complications.

— De quel genre ?

— Je crois bien que nous avons affaire à un sériole-killeuw, clama l’inspecteur Roger en débarquant à son tour. Ou du moins un complice de Lord Norton.

— Écoutez, je ne sais pas si nous avons ce qu’il vous faut en rayon, mais vous pouvez toujours regarder dans l’arrière-boutique… Sans indiscrétion, que s’est-il passé exactement ?

— Sir Philémon s’était éloigné des autres en croyant traquer Norton, et sa femme est partie à sa poursuite. Elle l’a perdu de vue quelques secondes, puis affirmé le voir au loin plaqué contre un rocher par quelqu’un d’autre. Cette personne lui tendait un liquide verdâtre et portait un masque blanc…

— Un peu comme celui de Tata Sorcière Longues-Jambes ?

— Pourquoi pas, après tout ? C’est une piste envisageable.

— Dans ce cas, il vous faudrait aussi regarder au niveau des légendes locales. Je vous conseille vivement le tombeau de William Basker.

— Pourquoi ça ?

— Parce que c’est une véritable bibliothèque ! À chaque mort, mariage et naissance, on grave les noms et les dates de la personne contre la pierre, et on y trouve toutes sortes de bas-reliefs inspirés du folklore de la terre d’adoption du poète maudit.

— Allons-y tout de suite !

— Attendez ! Ce tombeau est un véritable labyrinthe miniature ! Vous aurez besoin d’un guide grassement payé pour cela… D’ailleurs, si cette information pouvait me faire valoir un petit pourboire…

— Nous vous embauchons sur-le-champ !

— Très bien, dans ce cas, si vous voulez bien signer ceci… »

Philéas et Théodule leur apportèrent un énorme contrat qui aurait fait passer le Code du Travail pour un Post-it. Arsène Poirot haussa un sourcil et se mit à lire : « En cas de décès imprévu du signataire, celui-ci dénie toute responsabilité de la part du propositeur du contrat… Celui-ci décline tout recours en justice ou appel de la part des assurances… Qu’est-ce que c’est que ce fatras ?!

—  Laisse donc Arsène, ce ne sont jamais que des pattes de mouche. »

Et l’inspecteur Roger gratifia l’ouvrage de sa signature malhabile.

Après un moment d’hésitation, Arsène finit par accepter à son tour. Un quart d’heure plus tard, ils s’enfonçaient dans les ténèbres gothiques du plus sinistre tombeau du monde.

« À votre droite, vous pouvez voir une reproduction grandeur nature de la salle d’Inquisition de Saint-Alipentin, le Bourreau des Montagnes, qui fit torturer six mille sorcières et pendit leurs intestins en guirlandes tout autour de la Forteresse Alexandre VI…

— C’est extrêmement… réaliste, fit remarquer Arsène. Qu’est-ce que c’est que cet… instrument ?

— Vous n’avez pas envie de le savoir. À votre gauche, les chasses fantastiques qui décimaient la région durant le Moyen Âge, ici une goule domestique dans son habitat naturel…

— Une penderie ?

— Ou le dessous d’un lit d’enfant… Ah, voilà Tata Longues-Jambes. »

Tata Longues-Jambes était une créature hideuse, un masque blanc couvert de cornes avec des guibolles démesurées. Cela expliquait sans doute qu’on lui érige une statue aussi haute, mais certainement pas la fixette du sculpteur pour les verrues et les pustules au point que l’on aurait juré que la créature de l’enfer habitait dans un nid de guêpes. Des guêpes sans rayures jaunes qui se seraient nourries du sang des mortels.

« Impressionnant, n’est-ce pas ? William Basker l’a faite ériger aussi grande car elle lui rappelait un membre de sa famille. Le masque de Tata selon la légende serait couvert d’herbes narcotiques dont elle seule connaîtrait le remède. Elle étourdirait ainsi ses victimes afin de leur faire subir son arme favorite : le poison de la mort subite.

— Intéressant, marmonna Arsène. Cela coïnciderait avec celui que les deux victimes ont ingéré…

— En effet, et les victimes acculées n’auraient eu d’autre choix que de tremper leurs lèvres dans le breuvage d’une chose tellement terrifiante qu’ils n’auraient jamais voulu accepter son existence…

— Au fait, personne n’aurait vu le patron ?

— Arsène ! leur parvint un cri déformé par l’écho. Viens, j’ai découvert un truc marrant !

— Patron, vous êtes idiot de vous éloigner comme ça ! Revenez tout de suite !

— Viens toi-même, mon vieux ! Tu ne devineras jamais ça !

— Écoutez, patron, dit Arsène en accourant, il faut vraiment que vous arrêtiez avec vos enfantilla… »

Il stoppa net en voyant Tata Longues-Jambes. La vraie, cette fois.

« … ges. »

*

 

Tata Sorcière Longues-Jambes n’avait pas des jambes si longues que ça. En fait, elles étaient assez trapues. Elle n’avait pas de verrues, ni de pustules, ni l’air si effrayant. Mais elle possédait bel et bien un horrible masque.

Soudain, Arsène se rappela qu’il s’agissait d’une vulgaire farce et attrapes. C’était Roger qui lui faisait une farce avec l’ersatz qu’il avait acheté à l’aire des Arums Titans. Il éclata d’un grand rire sonore.

« Ahaha, patron ! Vous pouvez vous vanter de m’avoir fait subir une peur bleue ! (Il s’appuya sur son épaule en riant aux larmes.) Vous serez toujours un grand enfant, je n’y pourrais rien. (Il lui donna un coup de coude.) Bon… Il serait temps d’enlever cet horrible masque, vous ne trouvez pas ? (Lui donnant une pichenette : ) Houhou ? Allez, me prenez pas cette tête, bien sûr que je vous ai reconnu…

— À qui tu parles, Arsène ? » fit une voix derrière lui.

Pourquoi il se sentait aussi fatigué, d’un coup ?

Arsène hurla comme une cantatrice en présence d’une souris et tomba à la renverse. Le masque s’avança vers lui, couvert d’une odeur fétide et chaude qui alourdissait la tête… saisit sa mâchoire… sortit une fiole verdâtre…

Un coup de feu retentit. Puis un second. La créature tourna la tête des deux côtés, affolée, et s’enfuit dans les couloirs. Arsène, reprenant ses esprits, se leva tandis que Roger et Philéas le rejoignaient. Ils coururent à travers des cryptes obscures, des bassins glacés, des escaliers torsadés, des statuaires torturés ; ils coururent autant qu’ils purent mais ne retrouvèrent aucune trace : la créature avait disparu.

*

« Je peux m’abriter chez toi ? »

Ophélie ouvrit la porte de sa chambre à un Arsène trempé par des tempêtes de neige, horrifié par la visite d’un tombeau et de mauvaises rencontres, assommé par une drogue dont il ne savait rien. Le détective s’écroula sur le lit et se lança dans une contemplation intensive du plafond en lâchant entre deux halètements : « Quelle journée pourrie… Quelle journée pourrie… »

Deux grogs plus tard, le jeune homme lui racontait toute l’aventure. Ophélie se blottit contre lui, fascinée. Arsène commença par l’accident en voiture et termina par la sortie du tombeau — mouvementée car entretemps Roger avait découvert que Sir William Basker conservait près de son cercueil un alcool que les siècles avaient fermenté, bien-nommé La Liqueur des Damnés. Quand il terminait son récit, la nuit venait de tomber.

« Et alors ?

— Et alors quoi ? demanda Arsène, épuisé.

— Qu’est-ce que c’était, la découverte ?

— Oh, un petit truc marrant… L’arbre généalogique. Apparemment, Hervé la Bonne Pomme aurait lui aussi un lien de parenté.

— Eh bien, tant mieux pour lui ! Il pourra peut-être profiter de ce fabuleux dîner de famille… »

Ils rirent de bon cœur.

« Tu retournes dans ta chambre ?

— Ce sera toujours mieux que dormir à ciel ouvert.

— Et… tu ne désires rien d’autre ?

— Non, merci. Ah si, peut-être un autre grog.

— Tu ne préférerais pas quelque chose de plus… agréable ?

— Oh oui volontiers ! Je prendrais bien une tisane de camomille.

— Non, je veux dire… un baiser ?

— Mais naturellement ! »

Arsène l’embrassa sur la joue et s’en alla tout guilleret.

Ophélie comprit que toute résistance serait vaine, mais durant la nuit elle se trompa de chambre et ouvrit la sienne. Arsène Poirot dormait aux pieds du lit de son patron en suçant son pouce. Elle repensa aux manières de l’inspecteur Roger et se dit que les personnes vivant trop longtemps ensemble finissaient par déteindre l’une sur l’autre. Elle sourit et se dit que ça ajoutait du charme.

 

*

Lady Veronica ne semblait pas choquée outre mesure de la mort de son mari ; Roger se dit que ça devait être normal dans une famille où les morts avaient tendance à se faire dans des circonstances mystérieuses.

« Décidément, avec ça, les Baskerville profitant de l’héritage de la demeure sont de moins en moins nombreux ! laissa-t-il échapper.

— N’est-ce pâs ? Mais chacun se console en me disant que ça lui en fera une plus grosse part ! Et nous aurons un bel enterrement ! J’adôôôre les ânter’ments. J’espère bien être en première lôge. »

Du reste, le manoir des Baskerville, il fallait le dire, était très agréable. Sombre, mais avec un bon brasier dans les cheminées, spacieux, avec des fauteuils confortables et une cave ne manquant de rien. Ou du moins, avant la dernière fois où il s’y était rendu.

Un peu partout dans les grandes salles, les branches de la famille, aussi bien Williamson que de la Frênaie, s’apprêtaient au repas du soir. Les plus philosophes vantaient la grosseur des volumes des moralistes et débattaient sur l’épaisseur des pages, les plus spartiates se remémoraient la fameuse battue de ce matin au gibier si prolifique, les plus poètes faisaient remarquer que l’hiver avait revêtu son manteau blanc. Quand on évoquait le mort et le criminel de la journée, on haussait les épaules et on disait « C’est bien dommage » ; de toute évidence, les bourgeois d’ici n’accordaient que peu d’importance à la vie terrestre.

Roger aperçut Hervé dans le manoir et lui fit signe de venir. Le pauvre était couvert de bandages et marchait en béquilles, mais souriait comme à son habitude.

« Vous ici, mon brave ! Qu’est-ce que vous faites donc au manoir ?

— Moi ? J’aide un peu en cuisine. Je m’y connais en herbes, voyez-vous ? J’adore leur goût, leurs odeurs, leur toucher…

— Vous aimez les herbes, dites-vous ? Et vous vous y connaissez, dans les herbes narcotiques ?

— Oooh, je vais pouvoir vous partager ma passion, je suis content, content, content ! Eh bien tout d’abord, vous avez le pavot-ayahuasca, dont la légende dit que Morphée s’en servait pour ses insomnies, et que l’on reconnaît à ses étamines foliacées… »

L’exposé fut à l’image de son contenu : soporifique.

Quand l’inspecteur se réveilla, il n’y avait plus personne. « Hervé ? Hého ? » Soudain pris d’inquiétude seul dans le grand corridor, il tituba un instant dans le silence pesant. Puis il commença à entendre des bruits bizarres. Non, pas des bruits, des hurlements. Émis par une vieille télé crachouillante.

L’inspecteur Roger se dirigea vers la pièce où se trouvait le bruit ; toute la famille Baskerville était immobile, figée par ce qui sortait du poste. Tata Sorcière Longues-Jambes à l’intérieur les invectivait et partait d’un grand rire hystérique.

« MOUHAHAHAHAHAHA ! MOUHIHIHIHIHIHI ! Ah, mes pauvres Baskerville ! Pauvres, pauvres Baskerville ! disait-elle d’une voix éraillée et grinçante. Vous m’avez vu tuer, n’est-ce pas ? Et que diriez-vous que je continue ?! Je me trouve dans ce village, sous les traits de l’un d’entre vous ! C’est angoissant, n’est-ce pas ?!… Évidemment, que c’est angoissant ! Et quand je vous aurais tous empoisonnés, un à un, quand il ne restera plus personne, alors le manoir sera à moi ! À MOI ! MOUHAHAHAHAHAHA ! MOUHIHIHIHIHIHI !

— Qui diable peut donc se voiler derrière cette infamie ? finit par s’exclamer l’inspecteur.

— Quelqu’un possédant un talent d’acteur pathétique, manifestement, grogna André-Edmond. Je ne vois pas de problème à ce qu’on nous assassine, mais par pitié, que l’on fasse ça avec un peu de tenue !

— Au fait…, demanda soudain Renée-Charlotte. Personne n’aurait vu Lady Veronica ? »

 

*

 

« Eh bah elle l’aura bien aux premières loges, son enterrement, soupira l’inspecteur alors qu’ils prenaient leur petit-déjeuner à l’hôtel Raspoutine (ou, pour être plus exact, alors qu’il engloutissait des quantités absolument inhumaines de brioche et de Nutella). Une de plus ! Et le pire, dans tout ça… c’est qu’avec mon somme, j’ai raté le dîner !

— Y’a une chose que j’comprends pas dans c’t’affaire, dit Bertrand en leur apportant un nouveau plateau, c’est pourquoi l’assassin voulait faire porter l’chapeau à Ophélie la première fois, et qu’ensuite il ait décidé de ressusciter une vieille légende…

— C’est évident, non ? soupira Arsène. Il veut faire croire qu’il s’agit d’elle pour que les Baskerville finissent par la prendre en grippe. On a d’ailleurs retrouvé une boucle d’oreille sur le dernier cadavre en date, mais Ophélie m’a affirmé qu’elle ne possédait pas ce modèle. Une fois qu’ils auront compris que ça ne peut pas être Sir Norton, ils finiront par se tourner vers elle.

— D’accord, mais pourquoi pas s’en prendre à elle directement ?

— Ça, c’est un mystère. Peut-être pour préserver son identité ? Il s’agit sans doute d’un proche, et avant cela, elle veut s’assurer que le reste de la famille Baskerville se soit fait trucider…

— Mais vous dites qu’ici elle connaît que sa mère !

— Elle me cache peut-être quelque chose. Ou bien il s’agit de quelqu’un qu’elle voit quotidiennement, mais comme tout un chacun dans le village, en-dehors du manoir. Est-ce que vous auriez des idées de quelqu’un qu’on croiserait tous les jours dans la rue, avec qui tout le monde s’entendrait bien, et qui pourrait tisser des liens avec elle ?

— Ma foi… Philéas et Théodule ?

— Non, ils sont stupides, mesquins, fourbes, sournois, mercantiles, indiscrets, brusques, obséquieux, mauvaises fois, radins et vicieux, mais je les crois incapables de commettre un meurtre.

— Au moins, elle aura le mérite, elle qui travaille dans la médecine, de nous aider à trouver quels peuvent être ces narcotiques.

— Alors, on parle de moi ? lança l’intéressée en s’asseyant à leur table.

— Ah, Ophélie, dis-moi ! lança Poirot en levant son verre. Est-ce que tu as identifié qu’est-ce que ça pourrait être ?

— Eh bien, je commence à avoir des pistes. Mais ce n’est pas ma spécialité, de m’improviser en police scientifique ! Heureusement qu’Hervé vient me donner un coup de main chaque fois que je suis de passage dans la région.

— Hervé s’y connaît en plantes ?

— Oui, et ch’en ai fait les frais hier choir, marmonna en s’empiffrant l’inspecteur Roger. Bah ! de toute fachon, chette nuit, ch’est Noël, donc nous ferons bonne chère !

— En espérant que l’assassin n’aura pas eu la mauvaise idée de venir toquer à la porte… »

Et de fait, ce fut un 24 décembre assez reposant. La neige ne se déchaîna pas, le vent lui resta calme. Roger et Arsène se firent une petite fête entre vieux garçons dans le snack de la station-service. Arsène offrit à Roger un étui à pipes couleur vermillon. Roger offrit à Arsène un magazine trouvé en promo dans la vitrine ; Arsène se sentit quelque peu déconcerté par l’idée de feuilleter les aventures de Polly Pocket, mais Roger lui affirma que c’était l’intention qui compte. Derrière le comptoir, Philéas et Théodule dansaient le tango sous l’ampoule grésillante.

Quand l’heure vint de rejoindre le grand dîner de Noël des Baskerville, Arsène et Roger inspirèrent donc un bon coup et se dirigèrent vers le manoir. Ophélie les rejoint et leur souhaita bonne chance.

« Ce soir nous faisons tomber les masques, aussi vrai que je m’appelle Roger, inspecteur Roger !

— Je compte sur vous, les garçons, mais n’oubliez pas l’antidote !

— L’antidote ?

— J’ai enfin trouvé la formule qu’utilisait Tata Longues-Jambes ; avec ça, vous ne craindrez plus les somnifères.

— Excellent, Ophé ! Remercie Hervé de notre part !

— Oh, lui ne sait rien pour le moment ! Il m’a juste aidé sur le début et le milieu, mais actuellement, il est trop occupé à travailler en cuisine.

— Eh bien, l’affaire devrait pouvoir finir de son vivant ! plaisanta l’inspecteur Roger. Allez, joyeux Noël à toutes les Lacocotte ! »

Et il avala sa pilule cul sec. Arsène hésita puis en fit son affaire à son tour, et ils reprirent leur route en direction du manoir après lui avoir adressé un dernier signe de la main.

« C’est rigolo, elle n’est pas partie dans la direction de l’hôtel…

— Elle va peut-être tout simplement chez sa mère.

— Dites-moi, patron, dit Arsène au bout d’un moment en se tordant l’estomac, est-ce que vous n’avez pas l’impression que la pilule cachait quelques effets secondai… »

 

*

 

Le grand dîner de famille des Baskerville commençait. On avait fait venir une une énorme dinde, une douzaine de poulets, une cinquantaine d’étourneaux et une bonne centaine de cousins, échangeant des propos de circonstance (« Alors vous avez choisi de vivre en province ? », « Quel cadre pittoresque ! », « Avec ce tueur, vous ne devez pas vous ennuyer »), comme d’autres plus enjoués (« À votre âge, j’aurais adoré vivre une aventure avec un tueur et des énigmes ! », « Ça devrait faire venir les paparazzis ! »). Les enfants portaient des habits en dentelle qui les grattaient, les aiguilles du sapin roussissaient sous la chaleur du feu, les adultes piquaient du nez lors des conversation ennuyeuses tout en se demandant secrètement qui voudrait bien mourir ce soir. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Renée-Charlotte avait envoyé les enfants jouer pour s’occuper d’affaires de grandes personnes. Offrant au regard du notaire des habits qu’une jeune veuve hésiterait à mettre en temps normal, elle l’enjoignait à se délecter d’énormes bouteilles aux étiquettes tellement calligraphiées que leur contenu en devenait illisible.

« Donc… hips… si je comprends bien, ma bonne dame… hips… vous voudriez qu’avec le décès de votre cousin par alliance Sir Henry, une plus grande partie de la propriété et de la fortune vous soit concédée qu’il n’était stipulé dans le testament…

— C’est comme cela que le traduirait un homme du peuple. Je préfère le terme : rectification de documents post-mortem.

— Il s’agit… hips… d’un comportement crapuleux… hips… et je ne céderais pas…

— Vous commencez à m’agacer, je ne vais plus avoir de place pour les zéros sur le chèque…

— Jamais… hips… La justice est aveugle… hips… et la justice… c’est moi ! »

Elle lui mit le stylo entre les doigts et approcha sa main d’un papier.

« Voilà, vous avez juste à faire une petite torsion du poignet… comme ceci ! »

Le stylo dégringola en plein milieu. Le notaire se mit à ronfler.

« Hervé ? appela-t-elle en levant les yeux au ciel.

— Oui, madame ? s’écria l’homme tout souriant tout joyeux. Oooh, si vous saviez comme je suis content de me rendre utile !

— Va chercher quelques petites herbes remontantes pour notre ami notaire.

— Oh là là, c’est vrai qu’il n’a pas l’air bien du tout !

— Ça n’est rien, juste un léger malaise. Après tout, ce n’est pas comme si le tueur était devant lui !

— Ah ah, que vous êtes drôle, madame ! Je m’en vais chercher ça tout de suite. »

Il s’en alla en sifflotant, puis descendit dans l’arrière-cuisine soulever là où il mettait habituellement son tablier. Son sifflement et son sourire cessèrent net. Il regarda celui d’à côté, et encore celui d’à côté. Quand il comprit qu’il ne trouverait rien, il laissa échapper un chapelet de grommellements, jurons et gémissements en tous genres et se mit désespérément à fouiller les tiroirs. Rien non plus. Les placards. Les dessous de table. Les armoires. Les cachettes secrètes. Rien non plus.

« C’est ton masque que tu cherches ? »

Ophélie se trouvait dans l’encablure de la porte.

« C’est marrant, mais j’imaginais Tata Sorcière Longues-Jambes avec des jambes un peu plus longues. Et un peu plus sorcière, aussi. Mais bon, se forger une fausse image, c’est bien pratique quand on veut nous laisser œuvrer dans l’ombre, hein ?

— Comment as-tu…

— J’ai deviné quand Arsène m’a dit que tu étais toi aussi un Baskerville. Secouer un arbre quand on a un bras cassé, hein ? Je connais la médecine. Personne n’en serait assez capable pour en faire dégringoler un homme.

— Pourquoi ne leur avoir rien dit ?

— Ma mère m’a mise au courant que ma famille avait entretenu des liens mouvementés avec William Basker. Si tu as fait tout ça pour une vengeance entre lignées, j’ai préféré garder mes amis en-dehors de ça. (Elle s’approcha d’Hervé, belle et terrible, ses mains immobilisant les siennes, sa bouche touchant presque la sienne.) Pourquoi… avoir voulu… faire de moi une meurtrière ?

— Je réservais une vengeance toute particulière pour la descendante directe de William Basker. »

Ophélie recula en clignant des yeux. Hervé ricana en enlevant ses faux bandages.

« Curieux, hein, comme un arbre généalogique peut être fait, hein ? D’un côté, il cache l’existence d’une branche familiale désargentée mais à qui le manoir revient de droit, de l’autre il en révèle une autre tellement bâtarde qu’on a finalement décidé de l’humilier en faisant oublier son existence.

— Et c’est au final cette branche qui aura le dernier mot, c’est bien ça ?

— Je vois que tu apprends vite. Le tout était de trouver une légende qui effrayerait tous ces gogos et une fausse piste pour la police. Mais ce soir, c’est la finale. Ce soir, Tata Longues-Jambes s’invite au dîner de famille. Elle fait une entrée magistrale, enlève son masque et révèle sa véritable identité à tous les convives qui s’effondrent en découvrant leur ragoût empoisonné. Une mort dans l’effroi et la douleur. Joyeux Noël, bonne nuit tout l’monde.

— Malheureusement, Tata Longues-Jambes va avoir un petit compromis… (Elle mit sa main à sa ceinture.) Mon flingue ! Qui m’a piqué… »

Hervé braqua sur elle l’objet qu’il lui avait volé pendant qu’elle s’était approchée de lui.

« Excuse-moi ma jolie, mais ce compromis ne sera pas si long… »

Il l’accula contre le mur et lui plaqua un mouchoir sous le nez.

« … et il se pourrait même qu’il devienne amusant. »

 

*

 

« … res ? »

Roger cligna des yeux. Les éléphants verts avaient brusquement cessé leur carrousel et les planètes arrêtaient de clignoter dans leur sarabande. Tiens, marrant, qu’est-ce qu’il faisait en slip sur une statue en équilibre sur une jambe ? Et pourquoi tous ces gens le dévisageaient bizarrement ?

D’un coup il se rappela qu’il était dans le hall d’entrée du manoir des Baskerville et que ces gens n’avaient pas l’habitude de voir des inspecteurs de la police se jeter contre les murs en faisant les orangs-outans.

Poirot était à quelques mètres de lui, un pantalon sur la tête et tenant dans sa main un morceau de parquet à moitié mâchouillé. « Surtout, Arsène, faisons semblant de rien. »

Il y eut un très très long silence, puis une dame applaudit en s’écriant :

« Splendide ! Absolument incroyable ! C’est la plus belle performance artistique que j’aie vue de ma vie ! »

D’un coup, la quinzaine de personnes présentes se mit à applaudir. Après avoir salué de longues minutes, Roger se laissa offrir de bonne grâce une bouteille de champagne qu’il prit de bonne grâce — et un cigare qu’il mit dans sa bouche de l’autre côté de la pipe. Arsène pourtant n’avait pas l’air serein.

« Eh bien Arsène, qu’est-ce qu’il y a, mon vieux ?

— Je suis en train de réfléchir à pourquoi Ophélie nous a drogués.

— Allons, il s’agit probablement juste d’une erreur de dosage !

— Je ne peux pas y croire une minute ! Soit elle s’est trompée de médicaments… »

Ses yeux s’écarquillèrent.

« … soit elle avait un rendez-vous personnel avec le tueur. »

Arsène Poirot fit volte-face vers le portier.

« Portier ! Est-ce que vous auriez vu passer Ophélie ?!

— Si vous voulez parler de la jeune femme totalement ivre qu’Hervé vient de traîner hors d’ici, alors je crois qu’ils sont allés en direction de la forêt.

— Hervé, mais bien sûr ! »

L’adjoint se précipita dans la direction indiquée.

« Arsène, est-ce que tu peux m’expliquer un peu à quoi tout ça rime ? cria Roger en le rattrapant. Cette situation vire de plus en plus au grotesque !

— Silence, patron ! Taisez-vous et dites-moi si vous entendez quelqu’un ! »

Ils étaient désormais au beau milieu de la forêt. Aucun bruit, juste les hurlements du vent. Et puis, soudain, une voix au loin, sur l’air de Petit Papa Noël :

Tata Longu’Jambes viendra

Et elle vous empoison’ra

Arsène et Roger coururent jusque là où se trouvait Hervé qui maniait une énorme pelle luisant dans la pénombre.

Avec ses ruses par milliers…

L’homme se tourna vers eux avec un rictus effrayant.

J’oublie pas de vous enterrer !

« Hervé la Bonne Pomme ?! s’exclama l’inspecteur Roger. Mais c’est impossible ! Vous êtes… Ben vous êtes une bonne pomme !

— MOUHAHAHAHAHAHA ! MOUHIHIHIHIHIHI !

— Mince alors, mais vous avez vraiment ce rire-là dans la vraie vie !

— Fini de rire, Tata Sorcière ! s’écria Arsène. Dis nous où est Ophé !

— Oui, abjecte vile créature en putréfaction ! Où est-elle ?!

— Votre petite belle au bois dormant ? Mais juste sous mes pieds ! »

Alors les deux policiers s’aperçurent avec effroi qu’Ophélie était enterrée vivante.

Seul un bout de visage dépassait encore. Juste ce qu’il fallait pour laisser passer le nez et les yeux. Hervé s’apprêtait à mettre la dernière pelletée.

« Alors, mes deux poulets-poulets ?! La petite Ophélie traverse une petite hypothermie, on dirait… Peut-être est-elle en train de se réveiller… Peut-être est-elle en train de souffrir à cause de la terre qui la comprime… Tirez-moi dessus et elle ne se réveille plus jamais. Rendez-vous et je l’épargnerais… peut-être.

— Tue-la et on te tue, grogna Arsène. Le patron et toi allez baisser vos armes… en même temps. »

Roger hocha la tête et baissa lentement son arme. Hervé baissa sa pelle plus lentement. Il baissa son arme encore plus lentement. Il baissa sa pelle encore plus lentement. Il baissa son arme plus lentement. Au bout d’un moment, n’y tenant plus, il jeta sa pelle au loin. Roger l’imita.

Soudain une détonation retentit et Arsène s’écroula en se tenant l’épaule. Hervé venait de sortir le pistolet qu’il cachait dans sa salopette.

« MOUHAHAHAHAHAHA ! Vous ne vous y attendiez pas, à celle-là ?! Cette nuit, tout le monde meurt et je vais être content, content, content ! Content content cont… »

Une seconde détonation.

Hervé grimaça, traversé de part en part par la balle qui venait de le tuer. Puis il s’écroula avec un sourire idiot.

Lord Norton apparut, s’amusant à faire mouliner le flingue qu’il avait volé à Arsène.

« Hihihi, marrant le bruit qu’ça fait… Vous avez une bouteille ? »

 

*

 

Roger prit son écharpe et entreprit d’enserrer la plaie d’Arsène. La balle n’avait fait qu’érafler sa peau, mais il se pouvait bien que le muscle soit endommagé. Puis les deux hommes coururent déterrer Ophélie et lui donner des claques.

« Où… je… suis ?

— Tout va bien, Ophélie ? s’empressa de s’écrier Arsène. Hervé a failli te tuer, mais c’est fini ! Tout va bien !

— Le… poison… le… potage… (Les yeux mi-clos et gonflés d’Ophélie s’écarquillèrent d’un coup.) Mon Dieu ! Arsène ! Roger ! Il faut tout de suite que nous rentrions au manoir !

— Je… Pourquoi ?!

— Le potage est empoisonné ! Portez-moi !

— Mais j’vais en avoir, une bouteille, ou non ?

— Là où on va, y’en a plein, » lui assura Arsène.

Il chargea la jeune fille sur ses épaules tandis que Roger prit les devants. Il se précipita dans le hall, renversa le portier, bouscula ceux qui l’avaient acclamé, courut les escaliers vers la salle des banquets, évita les différents cuisiniers qui tentaient de l’intercepter, sauta par-dessus un croc-en-jambe, aperçut soudain le maître-coq qui s’apprêtait à servir un potage curieusement verdâtre…

L’inspecteur Roger dit souvent après cela que le temps s’était arrêté. C’était faux ; celui-ci s’était juste ralenti pour pouvoir observer un peu mieux la scène. C’était ce genre de secondes extraordinaires, où une centaine de vies allaient ou pas être sauvées, où le plan diabolique d’un malfrat qui ne pourrait même pas en profiter sèmerait pour de bon ou non son œuvre destructrice. Où le pire inspecteur de Scotland Yard devenait le meilleur, juste l’espace d’un instant.

Roger fit un plaquage au cuisinier et l’envoya rouler avec lui. La marmite se fracassa par terre, répandant sa soupe chaude et bouillonnante. Les deux hommes glissèrent dessus dans toute l’allée séparant la table de l’escalier pour descendre aux cuisines, se fracassèrent contre un mur et firent dégringoler sur eux un buste et plusieurs tableaux.

Trente secondes de silence s’écoulèrent alors que tout le monde se levait pour voir les deux corps enlacés sous les décombres. Le cuisinier se leva, hébété, mais l’inspecteur restait recroquevillé, immobile. Arsène, Ophélie et Norton arrivèrent juste à ce moment. Il aperçut son patron, déposa celle qu’il aimait sur les genoux d’une personne qu’il ne regarda même pas, et courut empoigner l’homme avec lequel il avait passé toute sa carrière.

« Patron ! Patron, vous m’entendez ?! Est-ce que vous allez bien, patron ?! »

Une nouvelle seconde interminable, et puis un grommellement :

« Chienne de vie… Ce truc a complètement taché mon manteau ! »

 

*

 

« Nous tenions à vous remercier d’avoir élucidé l’enquête, dit Renée-Charlotte en serrant la main des deux policiers. Ce maudit assassin nous aurait sans vous peut-être causé de terribles ennuis.

— Un ennui mortel, oui, grommela André-Edmond. Enfin quelqu’un qui mettait un peu de nettoyage dans la famille !

— André, quand on est un jeune homme d’une famille respectable, on ne dévoile pas ses conspirations au grand jour et on ne fait pas de commentaires désobligeants.

— C’est un vilain malpoli ! piailla Ursula-Éléonorine. Le tueur, lui, au moins, il avait une éducation !

— Ouaip, fit l’inspecteur Roger. Et maintenant que l’affaire est finie, il va falloir qu’on rentre.

— Déjà ?

— Oh, mais je compte bien revenir, si vous avez besoin d’un nouveau champion pour les concours de gloutonnerie.

— Maintenant que Tata Longues-Jambes est hors d’état de nuire, il ne saurait plus y avoir de meurtres ou de disparitions mystérieuses dans la région… (Arsène toisa la bourgeoise d’un air sombre.) N’est-ce pas ?

— Oui, évidemment, du moins pas tant que les vaillants détectives de Scotland Yard seront dans les environs… Mais ils nous feront la politesse de gentiment s’en aller maintenant que Noël est fini.

— Les vaillants détectives de Scotland Yard ont besoin de vacances et ils aimeraient bien rester quelque peu dans les parages. Ne serait-ce que pour s’assurer du respect des dernières volontés de Sir Henry.

— Les dernières volontés de Sir Robert seront respectées avec soin et il n’y a nul besoin d’un contrôle qui pourrait s’avérer faste et ennuyeux.

— Un contrôle faste et ennuyeux vaut mieux que quelques empoisonnements à l’arsenic.

— Un empoisonnement à l’arsenic est si vite arrivé qu’il serait dommage d’en subir un.

— Si je puis me permettre… »

Tout le monde tourna la tête. Le notaire venait d’arriver en titubant, un épais bloc de glace sur la tête.

« Si je puis me permettre, vous n’avez plus rien à faire dans ce manoir.

— Non mais de quoi se moque-t-on ?!

— Sir Robert Henry comptait léguer les droits sur son manoir et le plus gros de sa fortune à son membre de la famille le plus proche. Or il se trouve qu’il s’agit d’Ophélie Lacocotte. Et celle-ci semble n’apprécier guère de vous héberger outre mesure.

— Mais où allons-nous loger ?!

— Chez des cousins, des amis, dans une résidence secondaire ! Allons, je sais que vous avez tous un petit pécule quelque part. Vous séjournerez encore ici jusqu’à la fin des fêtes, après quoi il vous faudra faire vos valises. Allez, vous pourrez découvrir le vaste monde ! Et au fait : merci pour le champagne d’hier soir, même s’il était quelque peu… épicé. Aïe, mon crâne !

— Les volontés testamentaires, elles sont vilaines, vilaines, vilaines !

— Tais-toi, Ursula-Éléonorine ! »

Arsène sourit en voyant la mine déconfite de tous les Baskerville à mesure qu’on leur annonçait la nouvelle et vit que c’était aussi le cas de Roger. Il s’éloigna de son acolyte pour rejoindre Ophélie. La jeune fille était couverte de bouillottes et des manteaux pour soigner son hypothermie.

« Eh bien, félicitations…

— Oui, il semblerait que je n’aie plus besoin de retourner à Paris.

— Toi, tu vas devoir entretenir tout ce château… Moi, je vais devoir rentrer dans mon taudis à l’autre bout de la France et déjouer des enquêtes plus retorses les unes que les autres…

— La vie est pleine d’imprévus. Nous aurons peut-être une chance de nous revoir…

— Au fait, pourquoi ta mère te faisait-elle dormir à l’hôtel si elle habite dans le village ?

— Elle est pauvre et n’a qu’un lit chez elle. Elle n’allait pas me laisser dormir par terre…

— Mais tu es riche, pourtant !

— Mon père l’était. Ils se sont brouillés. Mais la vie va changer maintenant qu’elle pourra vivre ici. »

Ils sourirent tous deux en songeant aux lendemains qui chantent. Puis Roger lui posa une main sur l’épaule et lui dit qu’il était temps de rentrer. Elle lui adressa un dernier signe de main, il lui en renvoya un autre. Et tout le long du trajet de retour, serra contre lui un escarpin.

 

*

 

« Ainsi donc ça n’était pas Lord Norton le coupable ! Qui aurait pu deviner… Dis, tu m’écoutes, Arsène ?!

— Je ne sais pas, patron… J’ai un peu le vague à l’âme…

— Allons, ne fais pas cette tête-là ! Nous vivons une période de meurtres formidables, à présent que le Réveillon est fini ! Ils camouflent tous leurs crimes en accidents de la route étant donné que c’est la période, ils empoisonnent les dindes et le foie gras, ils mettent des bombes dans les pétards des papillotes ! Et avec ça, le local est plus crasseux que jamais !

— Dites-moi, patron… Ça ne vous est jamais arrivé de tomber amoureux, tout en sachant qu’il s’agit d’une fille que vous ne reverrez peut-être jamais ?

— Va savoir ! Il m’est arrivé tant d’aventures que je ne m’en rappelle plus forcément… Va consulter les mémoires que je t’ai forcées à écrire !

— Est-ce que vous connaissez seulement le proverbe Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ?

— Oh, Victor Hugo, très peu pour moi… (L’inspecteur se renfrogna.) Mais il est vrai que la fin des fêtes approche, et qu’on retourne bientôt dans une période calme… Et les enquêtes à haute péripétie, je vais te dire que ça va terriblement me manquer…

— Télégramme ! »

Précautionneusement, un facteur en tenue de footballeur américain entrouvrit fébrilement la porte, laissa tomber un message au sol, puis s’enfuit au courant. Arsène l’ouvrit et écarquilla les yeux.

« Alors ça…, finit-il par laisser échapper. Patron, j’ai l’impression que Scotland Yard en pince pour nous, ces temps-ci.

— De quoi il s’agit encore ?! Dis-moi, tu le sens monter, le désir de l’aventure ?

— Oh oui, patron, encore une affaire juteuse… Mais aussi la crainte, la peur, et en même temps l’appel de la découverte… Vous vous sentez vraiment prêt ?

— Si je suis prêt ? Aussi vrai que je m’appelle Roger, inspecteur Roger ! »

 

Sylvain Laurent,

21/12/19, St-Étienne

à 18:24

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